samedi 3 janvier 2015

Voix de préférence ou vote en case de tête ? Les tendances de 2014


Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UCL. Chargé de cours invité à l’ULB et à la FLACSO 

Discuter des réformes du système électoral est probablement le deuxième sport politique national en Belgique, derrière celui des réformes de l’état et/ou des questions linguistiques et communautaires. Le débat sur l’effet dévolutif de la case de tête et sur celui des voix de préférence est en effet omniprésent lors de chaque campagne électorale. Quelques semaines avant les élections, chaque parti y va de sa petite proposition pour réformer le système électoral en vigueur, allant de la suppression de la case de tête à l’instauration d’une circonscription unique en passant par la question du seuil électoral (voir ici le billet à ce sujet) ou celle de la désignation des candidats suppléants (voir ici le billet à ce sujet).

Dans ces débats quasiment aussi vieux que la Belgique, la question des voix de préférence reste centrale. Dans un système électoral proportionnel avec listes pré-ordonnées non bloquées, les voix de préférence peuvent potentiellement avoir un impact considérable sur les candidats qui sont in fine élus (voir ici le billet sur l'impact des voix de préférence sur les candidates). En gros, cela signifie que l'ordre des candidats sur la liste est défini avant le vote, mais que les électeurs peuvent le modifier en votant pour un ou plusieurs candidats individuellement. Cela entraîne deux types différents de comportements de vote : le vote en case de tête lorsque l’électeur est d’accord avec l’ordre des candidats tel que défini par le parti, et le vote de préférence lorsqu’il estime qu’un ou plusieurs candidats doivent être mis en avant par rapport à leurs places sur la liste.

Lors des élections de 2014, la majorité des Bruxellois a décidé de voter selon cette deuxième possibilité. Ils sont entre 65% et 70% à avoir émis un vote de préférence pour un ou plusieurs candidats. Par conséquent, cela signifie que seule une minorité de Bruxellois est d’accord avec leur l’ordre des candidats du parti pour lequel ils ont voté. Plus qu’un parti ou une idéologie, ce sont les personnalités des candidats qui déterminent le vote pour tel ou tel parti. Une récente étude démontre que seuls 17% des électeurs vote seulement en fonction de l’idéologie et du programme du parti (Dandoy, Museur, 2015). Le choix du vote des autres électeurs se base en tout ou en partie sur les candidats présents sur la liste.

Des électorats différents

Mais les partis ne sont pas égaux devant le vote de préférence. Certains obtiennent de nombreux votes de préférence tandis que d’autres reçoivent plus de votes en case de tête (voir Graphique 1). Le vote de préférence à Bruxelles se caractérise par trois éléments. Tout d’abord, les électeurs sont en moyenne plus nombreux à exprimer un vote de préférence lors des élections régionales (70,78%) que lors des élections fédérales (65,63%). Cette différence s’explique en partie par le nombre maximal de candidats sur chaque liste, puisqu’il est plus probable de se trouver un désaccord avec l’ordre établit par le parti sur une liste de 72 candidats (élections régionales – collège français) que sur une liste comprenant seulement 15 candidats (élections fédérales).

Ensuite, les partis francophones (71,74% pour les élections régionales et 67,28% pour les fédérales) récoltent en moyenne plus de voix de préférence que les partis flamands (64,04% et 47,73% respectivement). Cette différence s’explique également en partie par le nombre de candidats sur la liste, produisant de facto un plus grand désaccord potentiel avec le parti concernant l’ordre des candidats. Les partis francophones peuvent ainsi aligner jusqu’à 72 candidats aux élections régionales, contre seulement 17 pour les partis flamands. Mais, et c’est notamment le cas en ce qui concerne les élections fédérales, une autre explication repose sur les candidats eux-mêmes. Etant donné leur taille à Bruxelles, les partis francophones alignent plus facilement des candidats célèbres ou renommés que les partis flamands.

Graphique 1. Pourcentage de voix de préférence pour les principaux partis à Bruxelles en 2014

Enfin, le nombre de voix de préférence varie fortement selon les partis et, surtout, selon leur idéologie ou structure organisationnelle. Ainsi, les partis socialistes (PS et sp.a) et démocrates-chrétiens (cdH et CD&V) présentent les plus hauts taux de voix de préférence dans leurs groupes linguistiques respectifs. Ils sont suivis par les partis libéraux (MR et Open VLD) et par les régionalistes du FDF. Il est ainsi intéressant de constater que les électeurs du FDF se comportent comme ceux des trois partis traditionnels, surtout pour les élections fédérales. Le score important du nombre de voix de préférence pour l’Open VLD lors des élections régionales s’explique en grande partie par la popularité de sa tête de liste Guy Vanhengel (7.375 voix de préférence).

Les partis qui reçoivent proportionnellement moins de voix de préférence sont les partis écologistes, régionalistes de la N-VA, d’extrême-gauche PTB et d’extrême-droite Vlaams Belang. Ces partis présentent moins de candidats célèbres de les partis traditionnels et le FDF. Il est également intéressant de constater que – à l’inverse du FDF – les électeurs d’Ecolo se comportent plus comme ceux des petits partis ou des partis plus extrêmes, que comme les partis traditionnels. Néanmoins, l’écart entre le comportement de vote de l’électorat Ecolo et celui des partis traditionnels s’est réduit lors de ces élections de 2014 (voir Graphique 2).

Comparaison avec les élections prédécentes

Il est évident que, aux côtés de l’idéologie d’un parti, sa taille et sa structure organisationnelle, les stratégies de campagne de certains partis contribuent potentiellement à une personnalisation des élections et donc à une plus grande proportion de voix de préférence.

Prenons l’exemple du cdH. Le parti démocrate-chrétien a fait le choix d’aligner la vice-première ministre sortante Joëlle Milquet aux élections régionales. Francis Delpérée tirait la liste cdH à Bruxelles pour les fédérales. Le pari s’est avéré gagnant puisque Joëlle Milquet a recueilli pas moins de 19.416 voix de préférence, à hauteur de Vincent De Wolf (MR) et devant les deux principaux candidats socialistes. Mais le Graphique 2 nous montre que cela n’a pas eu d’impact sur le comportement de vote de l’électeur cdH à Bruxelles si on le compare aux précédentes élections régionales. L’électeur démocrate-chrétien a toujours émis plus de voix de préférence que les électeurs des autres partis, indépendamment de la tête de liste (Benoit Cerexhe en 2004 et 2009 et Joëlle Milquet en 2014).

Plus globalement, et si on compare les élections régionales bruxelloises de 2014 aux deux précédentes élections, on remarque que le comportement de vote de l’électeur francophone évolue dans le temps. Il apparaît que celui-ci a de moins en moins recours aux votes de préférence (76,77% en 2004 contre 73,21% en 2009 et 71,74% en 2014). L’hypothèse de la personnalisation accrue des campagnes électorales défendue par certains se trouve ainsi infirmée dans le cas bruxellois.

Le Graphique 2 confirme également les enseignements tirés par l’analyse des élections de 2014, à savoir que les différences entre partis ne sont pas tant stratégiques mais bien idéologiques et liées à la structure interne des partis. Les trois partis traditionnels (cdH en tête) reçoivent proportionnellement plus de voix de préférence que Ecolo et les partis situés aux extrêmes de l’axe gauche-droite. Qui plus est, le départ du FDF semble avoir créé une situation où l’électorat MR semble être plus en accord avec l’ordre des candidats établis par le parti et a exprimé comparativement moins de voix de préférence en 2014. Les prochaines élections régionales de 2019 nous permettront de confirmer ces quelques tendances…

Graphique 2. Pourcentage de voix de préférence pour les principaux partis francophones (élections régionales bruxelloises, 2004-2014)


Note méthodologique

Ne sont repris dans les calculs que les partis ayant obtenu au moins un siège au parlement régional bruxellois ou un siège dans la circonscription de Bruxelles-Capitale pour les élections fédérales. Pour les élections régionales et fédérales de 2014, la liste PTB-go! était conjointe avec celle du PVDA. La liste PTB s’intitulait PTB+PVDA+ en 2004, PTB+ en 2009. Pour les élections fédérales de 2014, les candidats Groen faisaient partie de la liste Ecolo. Le FN ne présentait pas de listes en 2014 et le FDF faisait partie intégrante du MR en 2004 et 2009.

Pour aller plus loin

Dandoy Régis, Museur Clément, “Les programmes électoraux des partis francophones en 2007 et 2010”, in Pierre Baudewyns (éd.), Etre électeur en Wallonie (à paraître, 2015).