mardi 16 février 2016

Le portefeuille ministériel de la mobilité et du chemin de fer : un choix idéologique pour le MR ?


Dr. Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UCL

Dr. Grégory Piet (@grgpiet)
Politologue, Directeur chez D&S - Discours & Stratégies


Les dernières semaines ont été assez mouvementées pour Jacqueline Galant (MR), la ministre fédérale de la mobilité, chargée de Belgocontrol et de la SNCB. Au centre de l’attention partisane et médiatique, l’avenir des plans de mobilité ferroviaire reliant les régions bruxelloise et wallonne. L’attention que portent les partis politiques (MR mais également les principaux partis d’opposition) à ce type de mobilité ne date pourtant pas de cette semaine. Grâce à ce billet, nous revenons sur les positions des principaux partis politiques belges lors des dernières élections fédérales, régionales et européennes de 2014 afin d’éclairer leur positionnement actuel en matière de mobilité. En toile de fond, nous tenterons de répondre à la question : le portefeuille ministériel de la mobilité et le chemin de fer, un choix idéologique pour le MR ?


La mobilité, pas vraiment une priorité politique pour les partis

L’analyse de l’ensemble des programmes électoraux publiés à l’occasion des élections de 2014 permet d’évaluer l’importance de la mobilité pour les différents partis francophones (pour l’explication de la méthodologie de cette analyse quantitative, voir la Note ci-dessous). Le Tableau 1 présente le pourcentage de mots et expressions liés à la mobilité dans ces programmes électoraux. Il est ainsi éclairant de relever que cette thématique ne peut pas être considérée comme un enjeu de société prioritaire pour les partis politiques francophones. En moyenne, ces partis consacrent en effet 3,98% de leur attention programmatique à la mobilité.

Cette attention est toutefois répartie de manière inégale entre les partis. Pour le MR, la mobilité correspond à moins de 3% de son programme électoral. C’est assez surprenant, sachant que lors de la répartition des portefeuilles ministériels en octobre 2014, les négociateurs MR ont choisi une personnalité de leur parti pour occuper le majorquin en charge de la mobilité. Avec moins de 4% d’attention, la mobilité n’est pas plus une priorité pour le PS que pour le PTB. A l’inverse, la mobilité représente plus de 5% du programme électoral du FDF, ce qui en fait le parti francophone qui consacre le plus d’attention à cette thématique. Ce positionnement du FDF n’est pas une surprise, sachant que ce parti concentre son électorat à Bruxelles, une région où la mobilité est un enjeu particulièrement important (pour une analyse du programme bruxellois 2014 du FDF, voir ici).

Tableau 1. Mobilité dans les programmes électoraux (2014)
PS
3,73 %
MR
2,92 %
cdH
4,10 %
Ecolo
4,21 %
FDF
5,08 %
PTB
3,24 %
PP
4,60 %


Le train moins présent que la voiture

La thématique « mobilité » se subdivise également en divers enjeux de société comme le RER, la SNCB, la voiture, la mobilité douce, etc. Quelle est ainsi la place des thématiques liées au RER et à la SNCB dans ces centaines de phrases consacrées à la mobilité dans les programmes électoraux des partis politiques francophones ?

Nous avons vu dans le tableau précédent que la mobilité n’était pas une priorité, mais qu’en est-il exactement de l’importance relative du chemin de fer en comparaison des autres types de mobilité ? En moyenne, la mobilité routière (37,6%) est la plus présente dans les programmes électoraux de 2014 des partis francophones. Le chemin se situe en seconde position (25,7%), suivi des transports en commun (22,7% - hors chemin de fer). Parmi les enjeux politiques de mobilité qui s’avèrent peu prioritaires, nous retrouvons la mobilité douce (piétons et cyclistes) (6,6%), la mobilité aérienne (5,6%) ainsi que le fluvial et le maritime (2,9%).

Tout comme l’attention générale liée à la mobilité, l’importance des différents types de mobilité varie fortement selon les partis (voir Tableau 2). Ainsi, le MR est le parti francophone qui met le plus l’accent sur la mobilité routière, suivi du cdH et du PP. Le FDF et le PS discutent longuement de la mobilité aérienne, suite aux débats sur les vols au-dessus de Bruxelles qui ont marqué la campagne à Bruxelles en 2014. Le PP met en avant  les transports en commun (bus, métro, tram, etc. à l’exclusion du chemin de fer), tandis que – vraisemblablement en ligne avec son idéologie écologiste – Ecolo est le parti francophone qui met le plus l’accent sur la mobilité douce, les piétons et les cyclistes.

Avec près de 45%, le PTB est le parti francophone qui met le plus l’accent sur le chemin de fer. Qui plus est, il s’agit du seul parti à consacrer relativement plus d’attention au train qu’à la voiture. Les autres partis suivent loin derrière : moins de 30% d’attention pour le chemin de fer dans le chef du PS et du FDF et un peu plus de 20% d’attention pour le cdH, Ecolo et le PP. Bon dernier de la classe francophone, le MR consacre moins de 15% de l’entièreté de son discours sur la mobilité au chemin de fer. Une nouvelle fois, le choix par le MR en faveur un portefeuille ministériel comprenant la mobilité en octobre 2014 est plus que surprenant. Au vu des difficultés rencontrées sur ce dossier, il aurait peut-être été plus stratégique pour le MR de choisir une thématique véritablement au cœur de son idéologique et de son positionnement de campagne… (pour une analyse du programme du MR en 2014, voir ici).

Tableau 2. Mobilité dans les programmes électoraux (par secteurs, 2014)

Transports en commun (hors chemins de fer)
Mobilité routière
Mobilité fluviale / maritime
Mobilité aérienne
Mobilité piétonnière / cycliste
Mobilité ferroviaire
PS
17,92 %
34,20 %
1,37 %
9,03 %
9,44 %
28,04 %
MR
18,65 %
47,84 %
3,24 %
7,84 %
7,84 %
14,59 %
cdH
21,05 %
44,85 %
4,12 %
1,60 %
5,49 %
22,88 %
Ecolo
21,10 %
36,32 %
3,93 %
3,68 %
13,25 %
21,72 %
FDF
19,77 %
33,56 %
4,82 %
9,80 %
4,49 %
27,57 %
PTB
27,63 %
22,37 %
2,63 %
0,00 %
3,29 %
44,08 %
PP
32,56 %
44,19 %
0,00 %
0,00 %
2,33 %
20,93 %

Enfin, l’analyse qualitative des programmes électoraux ne révèle pas de grandes surprises : le RER reliant le Brabant wallon à Bruxelles doit être achevé le plus rapidement possible pour la majorité des partis francophones. Ecolo souhaite « finaliser sans délai le RER et le mettre en service progressivement », tandis que le FDF propose de « faire pression sur le gouvernement fédéral et la SNCB pour mettre en place le réseau RER ». Il est intéressant de remarquer que le MR (tout comme le PTB) propose dans son programme de 2014 d’« accélérer les travaux du RER » sans pour autant proposer une date butoir. D’autres partis n’hésitent pourtant pas proposer une date de mise en fonction du RER. Ainsi, le PS souhaite que le RER soit complètement opérationnel en 2021 (et que les premières offres RER soient disponibles sur le territoire bruxellois dès 2016) tandis que le cdH exige que l’ouverture de l’ensemble des lignes RER soit avancée à 2019. Pour être complet, il convient de mentionner que le PP ne discute pas du RER dans son programme de 2014.


Conclusion

Au regard des programmes électoraux des partis politiques francophones de 2014, nous pouvons considérer que le portefeuille ministériel de la mobilité dans le gouvernement fédéral ne relève pas véritablement d’un choix stratégique et/ou d’une volonté idéologique du MR de se l’approprier. Au contraire, les difficultés de la ministre Galant à donner une ligne politique claire peut en partie s’expliquer par la faible attention politique que son parti accordait à la mobilité lors de la campagne électorale de 2014. La faible attention politique sur cette thématique « mobilité » révèlent également un choix stratégique et/ou idéologique de disposer ses forces politiques sur d’autres enjeux de société.

Au demeurant, le MR était probablement le parti politique francophone le moins prédestiné à occuper ce portefeuille ministériel. Les choix politiques et la distribution des compétences entre les différents partis de la majorité ont précipité Jacqueline Galant dans une situation délicate, sur un dossier extrêmement important, partiellement communautaire et avec une incidence directe sur une bonne part des autres enjeux de société (économie, mode de vie, travail, etc.) que le MR avait sous estimé durant la campagne électorale 2014. Sans oublier l’importance de la dimension de politique locale du réseau RER étant donné que les élections communales (et provinciales) de 2018 vont précéder les élections régionales et fédérales de 2019.


Note méthodologique

Cette analyse s’appuie sur le logiciel Prospéro (Chateauraynaud, 2003 ; voir, par exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de Prospéro, http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi que le site dédié au logiciel Prospéro http://prosperologie.org/). Cette méthode consiste en la création de 260 répertoires thématiques reprenant l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein des programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et Jones (http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook). Ces 260 répertoires sont constitués sur base de près de 18.000 mots et expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la politique étrangère, etc. A ce titre, cet encodage automatique permet de mesurer les préférences et les priorités des acteurs politiques au sein de différents types de textes et de discours.