Dr. Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UCL
Dr. Grégory Piet (@grgpiet)
Politologue, Directeur chez D&S - Discours & Stratégies
Les dernières semaines ont été assez mouvementées
pour Jacqueline Galant (MR), la ministre fédérale de la mobilité, chargée de Belgocontrol
et de la SNCB. Au centre de l’attention partisane et médiatique, l’avenir des
plans de mobilité ferroviaire reliant les régions bruxelloise et wallonne. L’attention
que portent les partis politiques (MR mais également les principaux partis d’opposition)
à ce type de mobilité ne date pourtant pas de cette semaine. Grâce à ce
billet, nous revenons sur les positions des principaux partis politiques belges
lors des dernières élections fédérales, régionales et européennes de 2014 afin
d’éclairer leur positionnement actuel en matière de mobilité. En toile de fond,
nous tenterons de répondre à la question : le portefeuille ministériel de
la mobilité et le chemin de fer, un choix idéologique pour le MR ?
La
mobilité, pas vraiment une priorité politique pour les partis
L’analyse de l’ensemble des programmes électoraux
publiés à l’occasion des élections de 2014 permet d’évaluer l’importance de la
mobilité pour les différents partis francophones (pour l’explication de la
méthodologie de cette analyse quantitative, voir la Note ci-dessous). Le
Tableau 1 présente le pourcentage de mots et expressions liés à la mobilité
dans ces programmes électoraux. Il est ainsi éclairant de relever que cette
thématique ne peut pas être considérée comme un enjeu de société prioritaire pour
les partis politiques francophones. En moyenne, ces partis consacrent en effet 3,98%
de leur attention programmatique à la mobilité.
Cette attention est toutefois répartie de manière
inégale entre les partis. Pour le MR, la mobilité correspond à moins de 3% de
son programme électoral. C’est assez surprenant, sachant que lors de la
répartition des portefeuilles ministériels en octobre 2014, les négociateurs MR
ont choisi une personnalité de leur parti pour occuper le majorquin en charge de
la mobilité. Avec moins de 4% d’attention, la mobilité n’est pas plus une
priorité pour le PS que pour le PTB. A l’inverse, la mobilité représente plus
de 5% du programme électoral du FDF, ce qui en fait le parti francophone qui
consacre le plus d’attention à cette thématique. Ce positionnement du FDF n’est
pas une surprise, sachant que ce parti concentre son électorat à Bruxelles, une
région où la mobilité est un enjeu particulièrement important (pour une analyse
du programme bruxellois 2014 du FDF, voir ici).
Tableau 1. Mobilité dans
les programmes électoraux (2014)
PS
|
3,73 %
|
MR
|
2,92 %
|
cdH
|
4,10 %
|
Ecolo
|
4,21 %
|
FDF
|
5,08 %
|
PTB
|
3,24 %
|
PP
|
4,60 %
|
Le train moins présent que la voiture
La thématique « mobilité » se subdivise
également en divers enjeux de société comme le RER, la SNCB, la voiture, la
mobilité douce, etc. Quelle est ainsi la place des thématiques liées au RER et
à la SNCB dans ces centaines de phrases consacrées à la mobilité dans les
programmes électoraux des partis politiques francophones ?
Nous avons vu dans le tableau précédent que la mobilité
n’était pas une priorité, mais qu’en est-il exactement de l’importance relative
du chemin de fer en comparaison des autres types de mobilité ? En moyenne,
la mobilité routière (37,6%) est la plus présente dans les programmes
électoraux de 2014 des partis francophones. Le chemin se situe en seconde
position (25,7%), suivi des transports en commun (22,7% - hors chemin de fer).
Parmi les enjeux politiques de mobilité qui s’avèrent peu prioritaires, nous
retrouvons la mobilité douce (piétons et cyclistes) (6,6%), la mobilité
aérienne (5,6%) ainsi que le fluvial et le maritime (2,9%).
Tout comme l’attention générale liée à la
mobilité, l’importance des différents types de mobilité varie fortement selon les
partis (voir Tableau 2). Ainsi, le MR est le parti francophone qui met le plus
l’accent sur la mobilité routière, suivi du cdH et du PP. Le FDF et le PS
discutent longuement de la mobilité aérienne, suite aux débats sur les vols
au-dessus de Bruxelles qui ont marqué la campagne à Bruxelles en 2014. Le PP
met en avant les transports en commun (bus,
métro, tram, etc. à l’exclusion du chemin de fer), tandis que – vraisemblablement
en ligne avec son idéologie écologiste – Ecolo est le parti francophone qui met
le plus l’accent sur la mobilité douce, les piétons et les cyclistes.
Avec près de 45%, le PTB est le parti francophone
qui met le plus l’accent sur le chemin de fer. Qui plus est, il s’agit du seul
parti à consacrer relativement plus d’attention au train qu’à la voiture. Les
autres partis suivent loin derrière : moins de 30% d’attention pour le
chemin de fer dans le chef du PS et du FDF et un peu plus de 20% d’attention
pour le cdH, Ecolo et le PP. Bon dernier de la classe francophone, le MR
consacre moins de 15% de l’entièreté de son discours sur la mobilité au chemin
de fer. Une nouvelle fois, le choix par le MR en faveur un portefeuille
ministériel comprenant la mobilité en octobre 2014 est plus que surprenant. Au vu des difficultés rencontrées sur ce dossier, il aurait peut-être
été plus stratégique pour le MR de choisir une thématique véritablement au cœur
de son idéologique et de son positionnement de campagne… (pour une analyse du
programme du MR en 2014, voir ici).
Tableau 2. Mobilité dans
les programmes électoraux (par secteurs, 2014)
Transports en commun (hors
chemins de fer)
|
Mobilité routière
|
Mobilité fluviale / maritime
|
Mobilité aérienne
|
Mobilité piétonnière / cycliste
|
Mobilité ferroviaire
|
|
PS
|
17,92 %
|
34,20 %
|
1,37 %
|
9,03 %
|
9,44 %
|
28,04 %
|
MR
|
18,65 %
|
47,84 %
|
3,24 %
|
7,84 %
|
7,84 %
|
14,59 %
|
cdH
|
21,05 %
|
44,85 %
|
4,12 %
|
1,60 %
|
5,49 %
|
22,88 %
|
Ecolo
|
21,10 %
|
36,32 %
|
3,93 %
|
3,68 %
|
13,25 %
|
21,72 %
|
FDF
|
19,77 %
|
33,56 %
|
4,82 %
|
9,80 %
|
4,49 %
|
27,57 %
|
PTB
|
27,63 %
|
22,37 %
|
2,63 %
|
0,00 %
|
3,29 %
|
44,08 %
|
PP
|
32,56 %
|
44,19 %
|
0,00 %
|
0,00 %
|
2,33 %
|
20,93 %
|
Enfin, l’analyse qualitative des programmes
électoraux ne révèle pas de grandes surprises : le RER reliant le Brabant
wallon à Bruxelles doit être achevé le plus rapidement possible pour la
majorité des partis francophones. Ecolo souhaite « finaliser sans délai le
RER et le mettre en service progressivement », tandis que le FDF propose de
« faire pression sur le
gouvernement fédéral et la SNCB pour mettre en place le réseau RER ». Il
est intéressant de remarquer que le MR (tout comme le PTB) propose dans son
programme de 2014 d’« accélérer les travaux du RER » sans pour autant
proposer une date butoir. D’autres partis n’hésitent pourtant pas proposer une
date de mise en fonction du RER. Ainsi, le PS souhaite que le RER soit
complètement opérationnel en 2021 (et que les premières offres RER soient
disponibles sur le territoire bruxellois dès 2016) tandis que le cdH exige que l’ouverture
de l’ensemble des lignes RER soit avancée à 2019. Pour être complet, il
convient de mentionner que le PP ne discute pas du RER dans son programme de
2014.
Conclusion
Au regard des programmes électoraux des partis
politiques francophones de 2014, nous pouvons considérer que le portefeuille
ministériel de la mobilité dans le gouvernement fédéral ne relève pas véritablement
d’un choix stratégique et/ou d’une volonté idéologique du MR de se l’approprier.
Au contraire, les difficultés de la ministre Galant à donner une ligne
politique claire peut en partie s’expliquer par la faible attention politique que
son parti accordait à la mobilité lors de la campagne électorale de 2014. La faible
attention politique sur cette thématique « mobilité » révèlent
également un choix stratégique et/ou idéologique de disposer ses forces
politiques sur d’autres enjeux de société.
Au demeurant, le MR était probablement le parti
politique francophone le moins prédestiné à occuper ce portefeuille
ministériel. Les choix politiques et la distribution des compétences entre les
différents partis de la majorité ont précipité Jacqueline Galant dans une
situation délicate, sur un dossier extrêmement important, partiellement
communautaire et avec une incidence directe sur une bonne part des autres
enjeux de société (économie, mode de vie, travail, etc.) que le MR avait sous
estimé durant la campagne électorale 2014. Sans oublier l’importance de la
dimension de politique locale du réseau RER étant donné que les élections
communales (et provinciales) de 2018 vont précéder les élections régionales et
fédérales de 2019.
Note méthodologique
Cette analyse s’appuie
sur le logiciel Prospéro (Chateauraynaud, 2003 ; voir, par exemple, le carnet
de recherche du GSPR, développeur de Prospéro, http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi
que le site dédié au logiciel Prospéro http://prosperologie.org/).
Cette méthode consiste en la création de 260 répertoires thématiques reprenant
l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein des
programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et Jones
(http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook).
Ces 260 répertoires sont constitués sur base de près de 18.000 mots et
expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties
d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la
politique étrangère, etc. A ce titre, cet encodage automatique permet de
mesurer les préférences et les priorités des acteurs politiques au sein de
différents types de textes et de discours.