jeudi 30 mai 2019

Le PTB a-t-il offert un siège à DierAnimal ? Quelques enseignements des groupements de listes à Bruxelles

Dr. Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UGent

Les élections du parlement de la région de Bruxelles-Capitale du 26 mai 2019 ont vu l’arrivée de deux nouvelles formations politiques dans le système partisan belge (à tout le moins bruxellois): Agora dans le groupe linguistique néerlandais et DierAnimal dans le groupe linguistique français, chacun obtenant un siège. Le succès d’Agora ne fait pas débat car le parti franchit de justesse le seuil électoral des cinq pourcents grâce à ses 3.629 voix et ses 5,18 %. L’histoire du siège de DierAnimal est toute autre. Avec ses quelques 5.113 voix, le parti animaliste a réalisé une belle performance électorale mais ses 1,32 % ne lui permettraient normalement pas de dépasser le seuil électoral et de prétendre à un siège au parlement de la région de Bruxelles-Capitale. Pourtant, Victoria Austraet siègera au Parlement bruxellois pour représenter ce parti. Que s’est-il passé ?

En fait, les listes participant à ces élections régionales ont le droit de s’allier dans un ‘groupement horizontal de listes’. Il ne s’agit pas ici d’une alliance électorale entre deux ou plusieurs partis, mais bien d’un regroupement technique pour – et c’est l’objectif avoué – dépasser le seuil électoral. Car le seuil électoral des cinq pourcents s’applique au groupement de listes et non pas individuellement aux listes qui le composent. Si le groupement de listes atteint le seuil électoral, les sièges sont donc d'abord répartis proportionnellement entre les groupements de listes (selon le système d’Hondt) et les sièges obtenus par le groupement de listes sont ensuite répartis proportionnellement (toujours selon le système d’Hondt) entre les différents partis qui constituent le groupement. 

Il y a donc trois types de partis pour les élections du parlement de la région de Bruxelles-Capitale : (1) les partis qui sont certains de dépasser le seuil des cinq pourcents et qui donc n’ont pas besoin de cette technique de groupement de listes ; (2) les partis qui doutent de leur capacité à dépasser ce seuil des cinq pourcents et donc décident de s’appuyer sur la popularité d’un ou de plusieurs autres partis ; (3) les partis qui ont peu de chance de dépasser le seuil électoral mais qui décident quand même de tenter leur chance seuls et de ne pas recourir au groupement de listes (par méconnaissance des règles électorales ou pour raison de stratégie de communication). 

En 2019, trois groupements de listes ont été constitués. Dans le groupe linguistique français, un premier groupement rassemblait le Parti Populaire et les Listes Destexhe, et un second groupement était composé du PTB, de DierAnimal et de Plan B. Dans le groupe linguistique néerlandais, le groupement de listes rassemblait également le PTB (sous son étiquette flamande PVDA) et DierAnimal. Sur base du résultat des élections, le premier groupement de listes (PP et Listes Destexhe) n’obtient que 16.657 voix, représentant seulement 4,29 % des voix francophones bruxellois. Ce score – inférieur au seuil des cinq pourcents - ne leur permet pas d’entrer en ligne de compte pour la répartition des sièges et aucun de ces deux partis n’entrera au parlement bruxellois. 

A l’inverse, le second groupement de listes du côté francophone (PTB, DierAnimal et Plan B) a séduit beaucoup plus d’électeurs bruxellois et obtient 58.525 voix, c’est-à-dire 15,07 % (voit Tableau). Ce chiffre leur permet de participer à la répartition des sièges et de recevoir pas moins de 11 sièges. A l’intérieur du groupement de listes, le parti le plus important est sans conteste le PTB (il obtient 52.297 voix), suivi de DierAnimal (5.113 voix) et de Plan B (1.115 voix). Sur base du calcul de répartition des 11 sièges obtenus par le groupement de listes,  le PTB en capte 10, contre un siège pour DierAnimal et aucun pour Plan B.

Un PTB trop frileux ?

La question est désormais de savoir si le PTB a perdu ce 11ème siège au profit de DierAnimal. En effet, les sondages publiés au cours des derniers mois indiquaient tous que le PTB dépasserait facilement le seuil électoral des cinq pourcents et donc pourrait participer pleinement à la répartition des sièges. Il n’y avait donc aucune raison pour le parti marxiste-léniniste de constituer un groupement de listes avec d’autres partis. Cette stratégie a-t-elle coûté un siège au PTB ? Le peu de confiance en ses futures performances électorales lui a-t-il enlevé un 11ème siège qui aurait dû lui revenir électoralement ?

En nous basant sur l’hypothèse que le PTB n’a pas participé à un groupement de listes avec DierAnimal et Plan B, nous pouvons simuler la répartition des sièges dans ce scénario. Les résultats montrent que même si le PTB s’était présenté seul, il n’obtiendrait toujours que 10 sièges. Sur la base de cette hypothèse, le 11ème siège obtenu par son groupement de liste aurait été attribué au parti DéFI. In fine, le calcul du PTB était juste: il n’a non seulement pas perdu un siège mais il a en plus affaiblit un autre parti (DéFI) au parlement régional bruxellois en le privant d’un siège supplémentaire. En outre, nos simulations indiquent que DierAnimal peut revendiquer pleinement la légitimité de son unique siège, même si le parti a obtenu un score moins important que celui d'autres partis (comme le PP ou les Listes Destexhe). C’est grâce à ses 5.113 voix que DierAnimal a permis à son groupement de liste d’obtenir un onzième siège. Il peut donc paraître normal que ce soit le parti animaliste qui en bénéficie.

Tableau. Résultats électoraux et scénarios (Parlement de la région de Bruxelles-Capitale, 2019) 
Groupe français

Votes
Votes (%)
Sièges
Scénario
PS

85.530
22,03 %
17
17
Ecolo

74.245
19,12 %
15
15
MR

65.502
16,97%
13
13
Groupement 

58.525




PTB
52.297
13,47 %
10
10

DierAnimal
5.113
1,32 %
1
0

Plan B
1.115
0,29 %
0
0
DéFI

53.638
13,81 %
10
11
cdH

29.436
7,58 %
6
6
Groupement

16.657




L. Destexhe
10.052
2,59 %
0
0

PP
6.605
1,70 %
0
0
C. Citoyen

2.029
0,52%
0
0
act-SALEM

1.496
0,39 %
0
0

697
0,18 %
0
0
be@eu

522
0,13 %
0
0
Total

388.278
100 %
72
72






Groupe néérlandais

Votes
Votes (%)
Sièges
Scénario
GROEN

14.425
20,61 %
4
4
N-VA

12.578
17,97 %
3
4
Open Vld

11.051
15,79 %
3
3
one.brussels

10.540
15,06 %
3
3
VB

5.838
8,34 %
1
1
CD&V

5.231
7,47 %
1
1
Groupement

3.683




PTB
2.992
4,27 %
1
0

DierAnimal
691
0,99 %
0
0
Agora

3.629
5,18 %
1
1
Be.one

3.021
4,32 %
0
0
Total

69.996
100 %
17
17

Qu’en est-il du groupement de listes dans le groupe linguistique néerlandais, alliant également le PTB et DierAnimal ? Ce groupement de listes a obtenu 3.683 voix, à savoir 5,26 % des voix néerlandophones, et a donc pu obtenir un siège. Ce siège unique a été attribué au PTB étant donné qu’il est le plus grand parti du groupement de liste. En effectuant la même simulation de répartition des sièges que pour le groupe linguistique français, sur la base d’un scénario où le PTB et DierAnimal n’auraient pas constitué de groupement de liste, nous observons que le PTB n’obtiendrait pas de siège. En effet, à lui seul, le parti marxiste-léniniste n’a obtenu que 4,28 % de voix, ce qui se trouve sous le seuil électoral des cinq pourcents. Dans ce scénario, ce siège aurait été attribué à la N-VA, qui aurait ainsi obtenu un quatrième siège, ex-aequo avec Groen.

Au final, on remarque donc que la stratégie de constitution d’un groupement de liste a fonctionné dans les deux groupes linguistiques : elle a permis au PTB d’obtenir un siège dans le groupe néerlandais et à DierAnimal d’obtenir un siège dans le groupe français. Plutôt que d’entrer en concurrence pour ces sièges supplémentaires, la situation a fait que les deux partis ont tous deux bénéficié de leur collaboration. DierAnimal n’aurait pas pu obtenir de représentation parlementaire sans le concours du PTB et le PTB n’aurait pas pu obtenir de siège dans le groupe linguistique néerlandais sans DierAnimal.


Merci à Elise Rousseau (Université de Namur) pour ses précieux commentaires et corrections.

Pour citer ce billet : Dandoy Régis, « Le PTB a-t-il offert un siège à DierAnimal ? Quelques enseignements des groupements de listes à Bruxelles », Blog - Elections, made in Brussels, 30 mai 2019URL: http://electionsbxl.blogspot.com/2019/05/le-ptb-t-il-offert-un-siege-dieranimal.html

samedi 3 décembre 2016

Vote différencié dans les sondages : peu de différences à Bruxelles (sauf pour DéFI)

Dr. Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UCL

Les résultats du sondage RTBF / La Libre de décembre 2016 sur les intentions de vote dans la population belge ont fait couler beaucoup d’encre (médiatique), principalement en ce qui concerne l’ascension du PTB en Wallonie, l’érosion du cdH en Wallonie et à Bruxelles et la stabilisation du système de partis en Flandre (voir les résultats ici). Mais ces éléments occultent une des spécificités de ce baromètre politique trimestriel.

En effet, depuis avril 2016, le sondage RTBF / La Libre porte à la fois sur les intentions de vote pour les élections fédérales et sur celles pour les élections régionales. La question posée aux répondants est la suivante: « Si dans le mois qui vient, de nouvelles élections fédérales étaient organisées, pour quel parti parmi la liste suivante voteriez-vous ? ». La même question est ensuite posée aux répondants, en remplaçant le mot « fédérales » par « régionales ». Ces deux questions permettent de comparer les intentions de vote aux deux niveaux de pouvoir et d’identifier si un parti est plus populaire au régional plutôt qu’au fédéral et vice-versa.

L’intérêt de poser ces questions est assez évident. Dans une Belgique fédérale, les élections régionales prennent de plus en plus d’importance – d’aucuns n’hésitent pas à affirmer que les élections régionales sont plus importantes que les élections fédérales – et ont une influence directe sur les décisions et la politique menée au niveau national. Le nouveau mode de désignation des sénateurs est un exemple de l’impact des élections régionales sur le fonctionnement des institutions fédérales. Même si les élections régionales et fédérales de 2014 ont été organisées de manière simultanée, elles ont mené à la constitution de majorités asymétriques. Dissocier les questions sur les intentions de vote permet ainsi de mesurer directement l’impact de la participation au gouvernement régional et/ou fédéral pour les différents partis politiques belges.

Ce billet se penche sur les intentions de vote différentiées à Bruxelles, c’est-à-dire sur le différentiel de popularité qui peut être observé entre le vote pour les élections régionales et le vote pour les élections fédérales. Trois indicateurs seront successivement explorés : le taux de réponse, l’indice de dissimilarité et les intentions de votes au niveau partisan.

Un taux de réponse plus élevé pour les élections régionales

Le taux de réponse à une enquête ou un sondage varie fortement en fonction des thématiques abordées ou de la complexité des questions mais également selon les individus. Les sondages portant sur la politique sont traditionnellement marqués par un taux de réponse assez faible et le baromètre politique trimestriel RTBF / La Libre ne fait pas exception.

A Bruxelles, un peu plus de 900 répondants sont interrogés dans ces sondages (918 en avril 2016, 917 en septembre 2016 et 914 en décembre 2016) mais le taux de réponse varie au cours du temps et selon les niveaux de pouvoir. Les répondants sont ainsi plus nombreux à exprimer une intention de vote pour les élections régionales : 74,9% de réponse en septembre 2016 et 74,4% en décembre 2016. A l’inverse, les élections fédérales inspirent relativement moins de répondants : 71,8% de réponses en septembre 2016 et 72,4% en décembre 2016.

Des sondages fortement similaires selon le niveau de pouvoir

Un deuxième indicateur entend mesurer directement si les répondants déclarent avoir l’intention d’exprimer le même vote aux élections fédérales qu’aux élections régionales. Cette mesure s’effectue traditionnellement à l’aide de l’indice de dissimilarité de Lee. Cet indice permet d’observer directement si – à l’échelle d’une région ou d’un système de partis – les électeurs émettent globalement le même vote lors de deux élections. Même si cet indice tend à minimiser les différences réelles observées, il constitue néanmoins une indication de l’importance du vote différencié. 

A Bruxelles, l’indice de dissimilarité est relativement faible : il s’élève à 3,75 pour le sondage d’avril 2016, à 2,4 pour celui de septembre 2016 et à 5,5 en décembre 2016. En d’autres mots, cela signifie que les répondants voteraient globalement pour les mêmes partis aux élections régionales et aux élections fédérales à Bruxelles. 

DéFI gagnerait plus de voix lors des élections régionales

L’analyse des résultats au niveau des partis révèle d’intéressantes différences. Le Graphe 1 indique le différentiel de popularité selon le niveau de pouvoir pour les sondages RTBF / La Libre en avril, septembre et décembre 2016. Les partis qui obtiendraient de meilleurs résultats aux élections fédérales sont indiqués sur la gauche du graphe, ceux qui obtiendraient plus de voix aux élections régionales sont situés à droite. 

Graphe 1. Vote différencié à Bruxelles (sondages RTBF / La Libre en 2016)


Le parti régionaliste bruxellois DéFI obtiendrait ainsi plus de votes lors des élections régionales que lors des élections fédérales. Pour ce parti, le différentiel serait de +0,6% en avril, de +0,3% en septembre et surtout de +3,7% en décembre 2016. Ce dernier chiffre est particulièrement relevant étant donné la marge d’erreur de 3,2%. Ce vote différencié en faveur des élections régionales n’est pas surprenant puisque la région bruxelloise constitue une priorité idéologique pour DéFI.

A l'inverse, le PS et le PTB semblent obtenir plus de votes lors des élections fédérales en comparaison des élections régionales bruxelloises. En moyenne, le différentiel serait de +1,1% en faveur des élections fédérales pour le PS et de +1% pour le PTB. Ces chiffres s’expliquent probablement par le fait que ces deux partis sont actuellement dans l’opposition au niveau fédéral et que le gouvernement à ce niveau de pouvoir a fait des thématiques socio-économique une de ses priorités. 

Enfin, il est difficile d’identifier une tendance pour les six autres partis politiques francophones bruxellois, d’autant plus que toutes les différences observées se situent sous la marge d’erreur. Pour ces partis, les différents sondages RTBF / La Libre indiquent soit peu de différences entre les élections régionales et les élections fédérales (à l’instar du parti Islam) ou indiquent des résultats opposés selon les sondages.  Néanmoins, il est intéressant d’observer que un certain mouvement de vases communicants entre le MR et le cdH puisque lorsque l’un obtiendrait plus de votes lors des élections régionales, l’autre obtiendrait plus de votes lors des élections fédérales, et vice-versa.

Note méthodologique 
L’indice de dissimilarité de Lee a été calculé sur base des intentions de vote pour les 9 principaux partis francophones à Bruxelles (PS, MR, cdH, Ecolo, DéFI, PP, PTB, La Droite et Islam). Les partis flamands n’ont pas été intégrés à l’analyse vu la volatilité importante observée, principalement dû au faible taux de réponse pour ces partis. 
Cet indice varie entre zéro (les intentions de vote sont parfaitement identiques selon les niveaux de pouvoir) et 100 (les répondants indiquent vouloir voter pour des partis totalement différents).

jeudi 1 septembre 2016

Vote des Belges à l’étranger: sont-ils (trop) déconnectés de la réalité politique belge ?

Dr. Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UCL

Une des principales critiques par rapport au vote des Belges résidant à l’étranger concerne le fait qu’ils sont trop déconnectés de la politique belge pour pouvoir voter en toute connaissance de cause (voir par exemple la carte blanche de Michel Ghesquière). S’il est évident qu’un(e) belge domicilié depuis 30 ans dans la forêt amazonienne au Pérou et sans contacts réguliers avec la Belgique peut potentiellement éprouver des difficultés à connaître tous les partis et tous les candidats présents sur les listes électorales, les choses peuvent s’avérer différentes pour le/la Belge travaillant dans une banque au Luxembourg mais revenant tous les week-ends en Belgique pour visiter sa famille et ses amis.

Car beaucoup de ces Belges résidant à l’étranger ne coupent pas les ponts avec le plat pays. Certains reviennent régulièrement en Belgique pour leurs affaires, les vacances, la Noël ou certains événements familiaux ; d’aucuns continuent à suivre les informations politiques via les périodiques ou les journaux télévisés (qui sont depuis quelques années accessibles en ligne partout dans le monde) ; ou d’autres enfin restent au contact avec la réalité sociale, culturelle, économique et politique belge via leurs activités, leurs professions, ou tout simplement leurs contacts téléphoniques ou électroniques avec leurs familles et amis. Au demeurant, si la connaissance de la réalité politique belge s’érige en critère d’acquisition du droit de vote, cet élément pourrait potentiellement s’appliquer à nombre d’électeurs n’ayant pourtant jamais quitté le territoire belge. Pas sûr que le législateur belge souhaite emprunter cette voie qui mènerait in fine à distinguer un bon électeur d’un mauvais électeur…

Dans ce troisième billet consacré au vote des Belges résidant à l’étranger (après celui sur son impact sur les partis qui gagnent et perdent des voix, et celui sur son impact sur la répartition des sièges au parlement bruxellois), nous allons brièvement analyser deux aspects de ce vote: le recours aux différentes modalités de vote et le vote pour la case de tête ou pour un ou plusieurs candidats. Les résultats pour les élections fédérales de 2014 en région bruxelloise seront pris comme cas d’étude, étant donné l’importance cette région pour le système politique belge et la présence conjointe de partis flamands et francophones.

Comment votent les Belges à l’étranger ?

Le 25 mai 2014, pas moins de 22.709 Belges résidant à l’étranger ont émis un vote pour les élections fédérales dans la circonscription de Bruxelles. Seuls 64,79% de ces Belges ont effectivement voté, ce qui est sensiblement plus bas que taux de participation observé en région bruxelloise (voir l’analyse du taux de participation à Bruxelles en 2014). Ce chiffre peut difficilement être révélateur d’une éventuelle déconnection avec la réalité politique belge, étant donné que nombre de ces électeurs ont été confrontés à diverses difficultés techniques qui ont entravé leur vote. Par exemple, certains Belges souhaitant voter par correspondance ont reçu leur bulletin de vote quelques jours – voire quelques semaines – après la date des élections.

La liste officielle des électeurs belges résidant à l’étranger fut arrêtée le 1er mars 2014. Pas moins de cinq modes de vote furent mis à la disposition de ces électeurs: le vote en personne dans une commune belge ; le vote par procuration dans une commune belge ; le vote en personne dans un poste diplomatique ou consulaire ; le vote par procuration dans un poste diplomatique ou consulaire ; et le vote par correspondance. Dans leur grande majorité (70,08%), les Belges résidant à l’étranger ont fait le choix de voter par correspondance.

Néanmoins, 1,18% d’entre eux étaient sur le territoire belge le jour de l’élection. Il n’est donc pas possible d’accuser ces électeurs d’être trop déconnectés de la réalité du ‘terrain’ belge, même s’il est difficile de savoir s’ils sont revenus en Belgique spécifiquement pour les élections ou si ils étaient présents sur le territoire pour une toute autre raison (familiale, professionnelle, etc.). Enfin, en ce qui concerne le vote par procuration, que cela soit dans une commune belge (5,17%) et dans un poste diplomatique ou consulaire (1,40%), il est également difficile d’accuser ces électeurs d’être trop déconnectés de la réalité politique belge, étant donné que ce ne sont tout simplement pas eux qui ont voté…

Votes en case de tête ou votes de préférence ?

Outre le mode de vote choisi par le Belge résidant à l’étranger, son comportement de vote peut-il nous apprendre quelque chose au sujet de sa connaissance de la réalité politique belge ? Lors des scrutins, l’électeur peut voter de deux manières différentes : soit en case de tête, soit pour un(e) ou plusieurs candidats. Cette dernière forme de vote est également appelée voix ou vote ‘de préférence’ puisqu’il permet à l’électeur d’identifier directement les candidat(e)s qu’il souhaite voir siéger au parlement (voir l'analyse de ces votes à Bruxelles). Mais la science politique nous a appris que ces votes de préférences s’observent plus souvent dans le cas d’électeurs proches de l’un ou l’autre candidat. A l’inverse, l’électeur qui ne connaît pas personnellement les candidats ou qui ne s’intéresse à la politique que de manière sporadique ou superficielle aura tendance à exprimer un vote en case de tête.

Si l’hypothèse des Belges résidant à l’étranger déconnectés de la réalité politique belge se vérifie, nous devrions observer une plus faible proportion de votes de préférence chez ce groupe d’électeurs par rapport aux électeurs belges résidant à Bruxelles. Le Tableau 1 confirme clairement cette hypothèse: près de 2/3 des Belges à Bruxelles expriment un vote de préférence lors des élections fédérales, tandis qu’ils sont moins d’un tiers chez les Belges résidant à l’étranger. A l’inverse, près de 70% de ces Belges de l’étranger a émis un vote en case de tête.

Tableau 1. Pourcentage de votes de préférence et en case de tête à Bruxelles (élections fédérales de 2014, par canton électoral)
Cantons
Votes de préférence
Votes case de tête
Anderlecht
68,17%
31 83%
Bruxelles
67,79%
32,21%
Ixelles
62,83%
37,17%
Molenbeek
68,64%
31,36%
St Gilles
62,61%
37,39%
St Josse
68,63%
31,37%
Schaerbeek
69,30%
30,70%
Uccle
65,96%
34,04%
Etranger
30,86%
69,14%
Note : les résultats sont présentés par cantons électoraux puisque les informations sur ce comportement de votes n’est pas disponible au niveau communal.

S’il est difficile d’établir un lien entre la méconnaissance de la réalité politique belge et le choix d’un vote en case de tête, il paraît évident que l’éloignement physique (parfois sur un autre continent) et temporel (parfois pendant des décennies) tend à réduire la propension à connaître, communiquer et voter pour des candidats individuellement. La déconnection des Belges résidant à l’étranger par rapport à la vie politique belge est plus que probablement une réalité pour certains de ces Belges. L’éventuelle extension du droit de vote des Belges résidant à l’étranger pour les élections des parlements de région (voir l’avant-projet de loi approuvé au Conseil des ministres) devra à n’en pas douter se pencher sur cette question.



Pour citer ce billet : Dandoy Régis, « Vote des Belges à l’étranger: sont-ils (trop) déconnectés de la réalité politique belge ? », Blog - Elections, made in Brussels, 2 september 2016
URL: http://electionsbxl.blogspot.be/2016/09/vote-des-belges-letranger-sont-ils-trop.html