Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à la FLACSO. Chercheur associé à l’ULB et l’UCL
Grégory Piet (@grgpiet)
Politologue à Université de Liège
Dans un précédent billet (lien), nous avons analysé le contenu des programmes électoraux des partis francophones à Bruxelles lors des élections régionales de 2009. Un des objectifs de ce blog sur les élections « made in Brussels » est de mieux comprendre les enjeux des élections dans cette région et – en particulier – d’étudier et de comparer les programmes électoraux des partis se présentant aux élections de mai 2014 à Bruxelles. L’analyse du programme bruxellois de 2014 pour le PS fait l’objet de cette première étape d’une série de billets. Les enjeux de la campagne socialiste sont identifiés grâce à une méthode d’analyse de texte basée sur des mots-clés (voir Note méthodologique). Ces thématiques sont regroupées en huit grands enjeux de la campagne régionale bruxelloise tels que répertoriés par Jean-Paul Nassaux (CRISP, 2014) et auxquels nous ajouterons les questions relatives aux institutions et à l’administration (incluant les questions communautaires).
Pour les élections simultanées de mai 2014, le PS a fait le choix particulier de présenter deux programmes électoraux à l’électeur bruxellois : un programme commun pour les élections européennes, fédérales et régionales bruxelloises (coordonné et rédigé par le PS au niveau national) et un programme spécifique pour les élections régionales bruxelloise (coordonné et rédigé par la fédération bruxelloise du PS). Ce billet se penchera dans un premier temps sur le programme commun du PS pour Bruxelles et le comparera au programme commun pour la Wallonie, et dans un deuxième temps, sur le programme spécifique pour les élections régionales à Bruxelles et le comparera avec le programme rédigé lors des précédentes élections régionales en 2009.
Deux régions, deux programmes, des priorités communes
Dans leur forme, les deux programmes communs du parti socialiste - à savoir le programme Europe-fédéral-Wallonie et le programme Europe-fédéral-Bruxelles - sont fort semblables : 500 pages pour le premier contre 503 pages pour le second. Le nombre de mots-clés encodés selon notre méthode d’analyse est également fortement identique : 12.598 mots-clés pour le programme Europe-fédéral-Wallonie contre 13.097 mots-clés pour le programme Europe-fédéral-Bruxelles.
Globalement, ces deux documents communs du parti socialiste proposent les mêmes priorités (pour une analyse plus approfondie du programme Europe-fédéral-Wallonie, voir Lien). Ce n’est pas surprenant vu l’importante place donnée aux thématiques fédérales et européennes dans ces documents. Ces thématiques sont communes aux deux programmes et seules les sections consacrées aux enjeux régionaux (wallons vs. bruxellois) peuvent potentiellement diverger (voir Tableau 1). En effet, près de la moitié de ces deux programmes sont consacrés aux huit thématiques identifiées par J-P Nassaux. Dans l’ordre, nous y retrouvons l’enseignement, suivi des finances et de l’économie, et de l’emploi.
Non seulement le classement (ranking) des priorités est identique, mais en plus il y a peu de différences entre l’attention donnée aux différents enjeux de la campagne. Le pourcentage de différence entre le programme Europe-fédéral-Wallonie et le programme Europe-fédéral-Bruxelles ne dépasse pas 0,4% pour ces enjeux pris individuellement, ce qui peut paraître surprenant pour des questions telles que l’emploi ou l’immigration. L’exception provient de la mobilité qui est particulièrement mise en avant dans le programme Europe-fédéral-Bruxelles (+0,98%), ainsi que les questions institutionnelles et administratives (+1,96%). Parmi les autres enjeux (non repris dans le tableau), il y a également très peu de différences, mis à part l’agriculture (-0,52%) et le commerce et les entreprises (-0,62%). Etant donné que ces domaines sont des compétences en grande partie régionalisées, il est normal d’y voir une différence significative des priorités entre les deux régions.
Tableau 1. Priorités programmatiques du PS (en %)
Europe
Fédéral
Wallonie
|
Europe
Fédéral
Bruxelles
|
Différence
|
|
Emploi
|
8,10
|
8,00
|
-0,10
|
Logement et politique locale
|
4,57
|
4,36
|
-0,21
|
Mobilité
|
3,49
|
4,47
|
+0,98
|
Sécurité et criminalité
|
2,48
|
2,39
|
-0,09
|
Relations internationales
|
7,11
|
6,72
|
-0,39
|
Immigration
|
0,82
|
0,84
|
+0,02
|
Finances et économie
|
9,47
|
9,44
|
-0,03
|
Enseignement
|
10,98
|
11,26
|
+0,28
|
Sous-Total
|
47,02
|
47,48
|
+0,46
|
Institutions et administration
|
11,41
|
13,37
|
+1,96
|
Un programme spécifiquement bruxellois relativement stable…
Le programme pour Bruxelles rédigé par la fédération bruxelloise du PS est relativement long : il consiste en un document de 155 pages (à savoir 68.848 mots). C’est une significative augmentation en comparaison du programme pour les précédentes élections bruxelloises qui comptabilisait 124 pages (45.622 mots). Néanmoins, la longueur d’un programme électoral a un impact sur l’analyse de son contenu. Sur base de notre encodage automatisé (voir Note méthodologique), 5330 mots-clés ont été identifiés, analysés et classés dans le programme 2014 (contre 3423 mots-clés encodés sur base du programme du PS en 2009). Cette différence en termes de longueur et de nombre mots-clés identifiés a potentiellement un impact sur le contenu du programme du PS en 2014.
Néanmoins, nous observons une relative stabilité du programme bruxellois du PS dans le temps. La comparaison du programme pour 2014 avec celui des précédentes élections régionales de 2009 démontre clairement que les priorités du PS sont aujourd’hui fort semblables à celles mises en avant il y a cinq ans (voir Tableau 2). Le podium de ces priorités concerne les mêmes enjeux de campagne. En premier lieu, nous retrouvons le logement et la politique locale (9,06% en 2014 contre 10,60% en 2009). Sur les deuxième et troisième marches du podium, nous observons les finances et l’économie (8,99% en 2014 contre 8,71% en 2009) et la mobilité (6,17% en 2014 contre 8,91% en 2009). Parmi les autres enjeux de campagne mis en avant par PS à Bruxelles, nous retrouvons ensuite l’enseignement (5,76% en 2014 contre 3,13% en 2009) et l’emploi (5,33% en 2014 contre 5,35% en 2009). A l’inverse, le statut international de Bruxelles (2,83%), la sécurité et la criminalité (2,27%), ainsi que l’immigration (0,47%) sont loin d’être les priorités du PS pour les élections régionales bruxelloises de 2014. Enfin, les questions institutionnelles et administratives sont en diminution par rapport à 2009 (-3,79%), une probable conséquence de la récente réforme de l’état.
Ainsi, les principaux changements par rapport à 2009 se situent au niveau de l’enseignement : +2,63% d’augmentation, en phase avec le ranking les priorités mises en avant dans le programme commun Europe-fédéral-Bruxelles. Les questions liées à la sécurité et à la criminalité reçoivent également plus d’attention de la part du PS que lors des élections bruxelloises de 2009. A l’inverse, la mobilité est une thématique qui perd de l’importance dans le programme socialiste de 2014 (-2,74%), suivi par les questions de logement et de politique locale (-1,54%).
Tableau 2. Priorités programmatiques du PS en 2009 et 2014 à Bruxelles (en %)
2009
|
2014
|
Différence
|
|
Emploi
|
5,35
|
5,33
|
-0,02
|
Logement et politique locale
|
10,60
|
9,06
|
-1,54
|
Mobilité
|
8,91
|
6,17
|
-2,74
|
Sécurité et criminalité
|
1,43
|
2,27
|
+0,93
|
Bruxelles international
|
2,66
|
2,83
|
+0,17
|
Immigration
|
0,50
|
0,47
|
-0,03
|
Finances et économie
|
8,71
|
8,99
|
+0,28
|
Enseignement
|
3,13
|
5,76
|
+2,63
|
Sous-Total
|
41,29
|
40,88
|
-0,32
|
Institutions et administration
|
28,63
|
24,84
|
-3,79
|
Les autres thématiques de campagne pour le PS bruxellois (non repris dans le tableau) sont le commerce et les entreprises (7% en 2014 contre 5,17% en 2009), les politiques sociales (6,98% en 2014 contre 5,4% en 2009), la culture (6,34% en 2014 contre 4,59% en 2009) et l’environnement (3,68% en 2014 contre 5,65% en 2009). Aucun autre enjeu de la campagne (comme par exemple l’aménagement du territoire, la recherche scientifique, la santé, l’agriculture, etc.) ne dépasse les 2% d’attention dans le programme électoral du PS. Au total, les matières socio-économiques correspondent à 37,9% du programme du PS bruxellois, correspondant à une augmentation de 2% par rapport à 2009. Cette augmentation est principalement due à l’attention croissante alloué aux politiques sociales (+1,58%) et au commerce et aux entreprises (+1,83%).
Note méthodologique
Cette analyse des programmes électoraux repose sur un logiciel d’analyse de textes, de discours et d’arguments, nommé Prospéro (Chateauraynaud, 2003 ; voir, par exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de Prospéro Lien ainsi que le site dédié au logiciel Prospéro Lien). La méthode consiste en la création de 21 répertoires thématiques reprenant l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein des programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et Jones (Lien). Ces 21 répertoires sont constitués de 16.582 mots et expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la politique étrangère, etc. Cet encodage automatique permet ainsi de mesurer les préférences et les priorités des partis politiques au sein de leur programme électoral. Pour une analyse en profondeur d’un enjeu politique et une explication détaillée de la manière de constituer les répertoires de mots et d’expression, voir Piet (2013).
Pour aller plus loin
Nassaux Jean-Paul, “Les enjeux des élections de 2014 pour Bruxelles », Les @nalyses du CRISP en ligne, janvier 2014. Lien
Piet Grégory, « La politique climatique en Belgique », Carnet de Recherche Socio-informatique et argumentation, avril 2013. Lien