vendredi 28 février 2014

Les priorités des partis francophones en 2009 à Bruxelles


Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à la FLACSO. Chercheur associé à l’ULB et l’UCL

Grégory Piet (@grgpiet)
Politologue à Université de Liège


Les enjeux mis en avant par les partis politiques sont essentiels afin de comprendre un processus électoral, puisqu’ils déterminent en grande partie les thématiques qui seront discutées au cours de la campagne électorale, le contenu des débats entre représentants des partis, les positionnements stratégiques (opposition, alliance, etc.) d’un parti envers un autre, ou encore les partis qui formeront la coalition au lendemain des élections. 

Dans ce premier billet sur les programmes électoraux, nous analyserons les enjeux mis en avant par les principaux partis politiques francophones dans leurs programmes au cours de la campagne pour les élections régionales bruxelloises de 2009. Ces enjeux seront identifiés grâce à une méthode d’analyse de textes basée sur des mots-clés (voir la Note méthodologique ci-dessous). Les différentes thématiques abordées dans les programmes électoraux sont regroupées en huit grands enjeux de la campagne régionale bruxelloise tels que répertoriés par Jean-Paul Nassaux (CRISP, 2014) et auxquels nous ajouterons les questions relatives aux institutions et à l’administration (incluant les questions communautaires). 


Les thématiques mises en avant dans les programmes

L’analyse des programmes bruxellois des quatre partis francophones traditionnels démontre une relative similarité entre ces partis en ce qui concerne le contenu de leurs programmes électoraux. Parmi les huit enjeux de la campagne, le podium est dominé par les finances et l’économie (7,83% en moyenne), le logement et la politique locale (7,38%) et la mobilité (6,90%). Mais d’importantes différences sont à observer entre partis au sein de ce top 3 : la première priorité au MR et au PS sont les finances et l’économie (respectivement 9,31% et 9,07%) tandis qu’il s’agit de la mobilité chez Ecolo (8,22%) et de l’enseignement au cdH (14,61%). A l’inverse des autres partis francophones, la mobilité et le logement et la politique locale sont – relativement – moins prioritaires au cdH. 

Peu de différences intra-partisanes sont observées sur les autres enjeux de la campagne, mis à part le moindre intérêt d’Ecolo pour l’emploi (3,74%) et l’attention portée par le MR à la sécurité (2,74%) et aux questions internationales (4,74%). L’immigration n’est une priorité pour aucune des principales formations politiques francophones. A l’inverse, chaque parti met l’accent dans son programme électoral sur les questions institutionnelles et liées à l’administration, bien que cette thématique soit sensiblement plus mise en avant par le MR (30,06%) et le PS (28,65%). 


Tableau: Priorités programmatiques des partis francophones en 2009 à Bruxelles (en %)


MR
PS
Ecolo
cdH
Moyenne
Emploi
5,11
5,57
3,74
5,39
4,95
Logement et politique locale
7,83
9,59
8,33
3,77
7,38
Mobilité
6,87
8,34
8,22
4,18
6,90
Sécurité
2,74
1,40
0,59
1,65
1,59
Bruxelles international
4,74
2,77
3,26
3,15
3,48
Immigration
1,33
0,52
0,68
0,64
0,79
Finances et économie
9,31
9,07
6,30
6,64
7,83
Enseignement
4,30
3,26
3,39
14,61
6,39

Sub-Total

42,23

40,52

34,51

40,03

39,32






Institution & administration
30,06
28,65
21,28
17,65
24,41


Parmi les autres thématiques présentes dans les programmes électoraux de partis, signalons l’importance des entreprises et du commerce (5,89% en moyenne), des droits civils et libertés (3,55% en moyenne), de la santé (3,50% en moyenne). Pour ces trois thématiques, il y a très peu de différences entre partis. A l’inverse, l’environnement est une importante priorité pour Ecolo puisque 9,04% de son programme électoral y est consacré (contre 3,42% en moyenne chez les autres partis), et que les affaires sociales (11,34%) et la culture et les loisirs (8,46%) sont prioritaires au cdH (contre respectivement 6,04% et 5,53% chez les autres partis). 


Programmes électoraux et formation du gouvernement bruxellois

A la suite des élections régionales du 7 juin 2009, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale (formé en juillet 2009) rassemble trois formations politiques francophones : PS (21 sièges), Ecolo (16 sièges) et cdH (11 sièges). Cette coalition exclut ainsi le parti MR (24 sièges), pourtant arrivé en tête du scrutin bruxellois. Ces trois partis francophones sont rejoints au sein de la coalition bruxelloise par les partis flamands CD&V, Open VLD et Groen!. 

La science politique s’est souvent penchée sur les éléments qui peuvent expliquer la formation des gouvernements et, plus particulièrement, le choix d’exclure un parti ou d’inclure un autre au sein de l’exécutif. Le cas bruxellois – qui a mené à l’exclusion du plus grand parti de la formule de coalition – en est un exemple intéressant. Puisque la formation de l’exécutif implique souvent une formule rassemblant la majorité des sièges, l’importance des résultats électoraux semble évidente. Mais aux côtés de ces résultats, la proximité entre partis est également importante. La théorie des coalitions postule ainsi que les partis les plus proches idéologiquement et politiquement ont tendance à s’associer au sein du gouvernement. 

Bien que le cas belge démontre que la proximité idéologique a un impact sur la formation des gouvernements (voir par exemple Dandoy, 2013), l’analyse des programmes électoraux bruxellois des partis francophones en 2009 contredit cette théorie au niveau régional. La proximité idéologique de ces programmes est mesurée à l’aide du calcul des corrélations entre les 21 catégories thématiques encodées. Ces corrélations indiquent que, paradoxalement, la coalition MR-PS est la plus cohérente (.98), tandis que celle rassemblant PS, Ecolo et cdH est moins homogène (en moyenne .79). Néanmoins, une formule MR-Ecolo-cdH affiche une proximité idéologique similaire (en moyenne .79) et ne se présente pas en véritable alternative. Les explications de la formation du gouvernement bruxellois sont ainsi probablement plus à trouver au niveau des stratégies partisanes et des rapports entre les leaders des différents partis qu’au niveau des proximités idéologiques. 

Cela étant dit, cette analyse quantitative des priorités des partis ne permet pas de mesurer la direction que prend un parti sur un enjeu ou une thématique. Ainsi, deux partis peuvent accorder la même attention (en termes de temps, d’espace, etc.) à la mobilité dans leurs discours et leurs programmes, mais proposer des solutions radicalement différentes, voire opposées. Qui plus est, une proximité entre deux partis en termes de priorités peut révéler une tout autre stratégie (que celle menant à la formation d’un gouvernement). Afin d’attirer l’attention (médiatique) sur le parti et sur ses propositions lors de la campagne électorale, il est parfois stratégique pour un parti de se positionner en opposition par rapport à un autre parti sur un certain nombre d’enjeux. Cette polarisation du débat entraîne que ces deux partis vont focaliser leur attention sur certains enjeux précis et en négliger d’autres. La corrélation très élevée entre les thématiques mises en avant par le PS et le MR en 2009 pourrait ainsi s’expliquer par une volonté commune de polarisation du débat autour des thématiques qui les opposent l’un à l’autre. 


Note méthodologique

Cette analyse des programmes électoraux repose sur un logiciel d’analyse de textes, de discours et d’arguments, nommé Prospéro (Chateauraynaud, 2003 ; voir, par exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de Prospéro, http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi que le site dédié au logiciel Prospéro http://prosperologie.org/). La méthode consiste en la création de 21 répertoires thématiques reprenant l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein des programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et Jones (http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook). Ces 21 répertoires sont constitués de quelques 10.000 mots et expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la politique étrangère, etc. Cet encodage automatique permet ainsi de mesurer les préférences et les priorités des partis politiques au sein de leur programme électoral. Pour une analyse en profondeur d’un enjeu politique et une explication détaillée de la manière de constituer les répertoires de mots et d’expression, voir Piet (2013). 


Pour aller plus loin 

Chateauraynayd Francis, Prospéro. Une technologie littéraire pour les sciences humaines, Paris, CNRS Editions, 2003. 

Dandoy Régis, “Résultats des élections et formation des exécutifs”, in Bouhon Frédéric, Reuchamps Min (dir.), Les systèmes électoraux de la Belgique, Bruylant, Bruxelles, 2012, pp. 439-458. Lien

Dandoy Régis, “The Impact of Government Participation and Prospects on Party Policy Preferences in Belgium”, Government and Opposition, Published online on 25 November 2013. Lien 

Nassaux Jean-Paul, “Les enjeux des élections de 2014 pour Bruxelles », Les @nalyses du CRISP en ligne, janvier 2014. Lien 

Piet Grégory, « La politique climatique en Belgique », Carnet de Recherche Socio-informatique et argumentation, avril 2013. Lien