mercredi 18 novembre 2015

Les Bruxellois satisfaits de la qualité de vie et de l’économie de leur région


Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UCL. Chargé de cours invité à l’ULB et à la FLACSO

Il y a quelques jours, la Commission Européenne a publié les résultats d’une enquête portant sur l’opinion publique dans les régions en Europe. Dans chaque région d’Europe, un échantillon de 300 personnes a répondu à quelques questions sur la perception qu’elles ont de l’état de leur région ou encore sur leur confiance dans Union Européenne. Cette enquête (Eurobaromètre 427) de la DG Communication de la Commission Européenne a été réalisée par téléphone du 3 au 23 septembre 2015. Pour plus de détails techniques sur ce sondage, voir ici.

Dans ce billet, nous analysons les résultats de cette enquête sur l’état de l’opinion publique bruxelloise en ce qui concerne les thématiques de la situation économique et de la qualité de vie dans leur région, et nous comparons leurs perceptions avec celles des populations dans les régions flamande et wallonne.

Qualité en vie en région bruxelloise

Sur base de la question « Comment jugez-vous la situation actuelle concernant la qualité de vie dans votre région ? », les résultats indiquent que les Bruxellois sont généralement satisfaits de la qualité de vie dans leur région. Plus de 80% des Bruxellois déclarent que cette qualité de vie est très bonne ou assez bonne. A l’inverse, seuls 5% des habitants de cette région pensent que la qualité de vie est très mauvaise. Cependant, ces chiffres sont à relativiser, surtout si on les compare aux résultats obtenus en région flamande. En effet, près de 29% des flamands indiquent que la qualité de vie est très bonne dans leur région et 93% d’entre eux déclarent que cette qualité de vie est très bonne ou assez bonne. Les chiffres positifs obtenus pour la région bruxelloise ne doivent ainsi pas cacher les efforts qui peuvent être faits pour atteindre une meilleure qualité de vie. Parmi les individus les plus satisfaits de cette qualité de vie, nous retrouvons les femmes, les jeunes (de 15 à 24 ans) et les étudiants.

Tableau 1. Qualité de vie (situation actuelle)

Bruxelles
Flandre
Wallonie
Royaume
Très bonne
12,2 %
28,9 %
8,4 %
20,6 %
Assez bonne
68,1 %
64,1 %
65,2 %
64,9 %
Assez mauvaise
13,9 %
5,4 %
19,6 %
10,8 %
Très mauvaise
5,4 %
1,7 %
6,8 %
3,7 %
Total
100,0 %
100,0 %
100,0 %
100,0 %

En qui concerne la question de cette qualité de vie dans les prochains 12 mois, plus d’un tiers des Bruxellois sont pessimistes. Ils sont ainsi 34,6% à penser que, comparée à aujourd’hui, la situation sera pire dans exactement un an. Dans les deux autres régions, la tendance est également globalement pessimiste : en moyenne, 31% des Belges pensent que leur qualité de vie sera pire dans un an. Néanmoins (et cela n’entame en rien la tendance pessimiste), la population de la région bruxelloise est celle qui la plus optimiste avec plus de 14% d’individus qui estiment que la qualité de vie à Bruxelles sera meilleure dans 12 mois. Au niveau individuel, les répondants les plus pessimistes quand à la qualité de vie sont à trouver parmi les individus moins éduqués, parmi les personnes isolées et parmi les indépendants et les employés.

Tableau 2. Qualité de vie (situation dans les 12 prochains mois)

Bruxelles
Flandre
Wallonie
Royaume
Meilleure
13,7 %
11,2 %
5,9 %
9,8 %
Identique
51,7 %
60,0 %
59,7 %
59,0 %
Pire
34,6 %
28,5 %
34,4 %
31,0 %
Total
100,0 %
100,0 %
100,0 %
100,0 %

Situation économique en région bruxelloise

En ce qui concerne la situation économique dans leur région, les Bruxellois sont partagés : pas moins de 60% d’entre eux estiment que la situation économique est assez bonne ou très bonne, tandis que les autres 40% pensent que celle-ci est assez ou très mauvaise. Dans ce sens, les Bruxellois se trouvent à mi-chemin entre les deux autres régions du pays. En Wallonie, la majorité de la population (58,8%) estime que la situation économique est assez bonne ou très mauvaise tandis que la majorité de la population flamande (69,5%) pense l’inverse. Si les différences entre la Flandre et la Wallonie ne sont pas surprenantes étant donné leurs différentes performances économiques, les résultats pour Bruxelles sont plus interpellants. Si l’on prend par exemple le taux de chômage comme indicateur objectif de situation économique, la population bruxelloise (18,5% de chômage en 2014) pourrait avoir une vision plus négative de l’économie de sa région, en comparaison de la Flandre et de la Wallonie (respectivement 5,1% et 12%). Mais les chiffres collectés dans l’enquête de la Commission Européenne semblent indiquer que le taux de chômage n’a que peu d’influence sur l’opinion publique à Bruxelles. Parmi les individus qui estiment que situation économique est assez bonne ou très bonne, nous retrouvons les jeunes et les étudiants, ainsi que les ouvriers.

Tableau 3. Situation économique (actuelle)

Bruxelles
Flandre
Wallonie
Royaume
Très bonne
6,0 %
5,8 %
3,5 %
5,1 %
Assez bonne
53,7 %
63,7 %
37,4 %
54,2 %
Assez mauvaise
32,2 %
27,1 %
44,3 %
33,2 %
Très mauvaise
8,1 %
3,4 %
14,5 %
7,5 %
Total
100,0 %
100,0 %
100,0 %
100,0 %

Enfin, en qui concerne la question de la situation économique régionale dans les prochains 12 mois, les Bruxellois sont relativement pessimistes : près d’un tiers d’entre eux estime que la situation économique sera pire dans les 12 prochains mois. Ce chiffre est relativement similaire (bien que légèrement plus élevé) à celui observé en moyenne dans le royaume (29,5%). Dans les deux autres régions, les tendances sont sans surprise divergentes : 35,6% des wallons sont pessimistes quand à l’avenir à court terme de l’économie dans leur région, contre seulement 25,7% en Flandre. Au niveau individuel, les répondants bruxellois les plus pessimistes sont à trouver chez les femmes, les indépendants, les célibataires et les individus entre 40 et 54 ans.

Tableau 4. Situation économique (dans les 12 prochains mois)

Bruxelles
Flandre
Wallonie
Royaume
Meilleure
17,4 %
19,6 %
7,6 %
15,5 %
Identique
52,8 %
54,4 %
56,7 %
56,7 %
Pire
31,3 %
25,7 %
35,6 %
29,5 %
Total
100,0 %
100,0 %
100,0 %
100,0 %

Conclusion

Au demeurant, la majorité de la population bruxelloise estime habiter dans une région où il fait bon vivre et où la situation économique est (relativement) bonne. Sans surprise, ces sentiments sont encore plus forts en région flamande mais sont supérieurs à ceux observés en Wallonie. Néanmoins, et bien qu’ils ne représentent pas la majorité de la population, nombreux sont les bruxellois(es) à être pessimistes par rapport à la situation économique et à leur qualité de vie à Bruxelles dans les prochains mois. Il est à craindre que les récents attentats à Paris et les évènements liés à la traque des terroristes en région bruxelloise ne fassent que renforcer cette tendance pessimiste.


Note méthodologique


Pour chacun des tableaux ci-dessus, les répondant souhaitant ne pas répondre à la question ou répondant « je ne sais pas » ont été exclus des tableaux. Le nombre de ces répondants varie entre 1% et 6%, selon les questions et les régions. Les résultats pour le Royaume ont été pondérés par le poids démographique de chaque région (basé sur les chiffres de population par région au 1er janvier 2015 - http://statbel.fgov.be).

samedi 3 janvier 2015

Voix de préférence ou vote en case de tête ? Les tendances de 2014


Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UCL. Chargé de cours invité à l’ULB et à la FLACSO 

Discuter des réformes du système électoral est probablement le deuxième sport politique national en Belgique, derrière celui des réformes de l’état et/ou des questions linguistiques et communautaires. Le débat sur l’effet dévolutif de la case de tête et sur celui des voix de préférence est en effet omniprésent lors de chaque campagne électorale. Quelques semaines avant les élections, chaque parti y va de sa petite proposition pour réformer le système électoral en vigueur, allant de la suppression de la case de tête à l’instauration d’une circonscription unique en passant par la question du seuil électoral (voir ici le billet à ce sujet) ou celle de la désignation des candidats suppléants (voir ici le billet à ce sujet).

Dans ces débats quasiment aussi vieux que la Belgique, la question des voix de préférence reste centrale. Dans un système électoral proportionnel avec listes pré-ordonnées non bloquées, les voix de préférence peuvent potentiellement avoir un impact considérable sur les candidats qui sont in fine élus (voir ici le billet sur l'impact des voix de préférence sur les candidates). En gros, cela signifie que l'ordre des candidats sur la liste est défini avant le vote, mais que les électeurs peuvent le modifier en votant pour un ou plusieurs candidats individuellement. Cela entraîne deux types différents de comportements de vote : le vote en case de tête lorsque l’électeur est d’accord avec l’ordre des candidats tel que défini par le parti, et le vote de préférence lorsqu’il estime qu’un ou plusieurs candidats doivent être mis en avant par rapport à leurs places sur la liste.

Lors des élections de 2014, la majorité des Bruxellois a décidé de voter selon cette deuxième possibilité. Ils sont entre 65% et 70% à avoir émis un vote de préférence pour un ou plusieurs candidats. Par conséquent, cela signifie que seule une minorité de Bruxellois est d’accord avec leur l’ordre des candidats du parti pour lequel ils ont voté. Plus qu’un parti ou une idéologie, ce sont les personnalités des candidats qui déterminent le vote pour tel ou tel parti. Une récente étude démontre que seuls 17% des électeurs vote seulement en fonction de l’idéologie et du programme du parti (Dandoy, Museur, 2015). Le choix du vote des autres électeurs se base en tout ou en partie sur les candidats présents sur la liste.

Des électorats différents

Mais les partis ne sont pas égaux devant le vote de préférence. Certains obtiennent de nombreux votes de préférence tandis que d’autres reçoivent plus de votes en case de tête (voir Graphique 1). Le vote de préférence à Bruxelles se caractérise par trois éléments. Tout d’abord, les électeurs sont en moyenne plus nombreux à exprimer un vote de préférence lors des élections régionales (70,78%) que lors des élections fédérales (65,63%). Cette différence s’explique en partie par le nombre maximal de candidats sur chaque liste, puisqu’il est plus probable de se trouver un désaccord avec l’ordre établit par le parti sur une liste de 72 candidats (élections régionales – collège français) que sur une liste comprenant seulement 15 candidats (élections fédérales).

Ensuite, les partis francophones (71,74% pour les élections régionales et 67,28% pour les fédérales) récoltent en moyenne plus de voix de préférence que les partis flamands (64,04% et 47,73% respectivement). Cette différence s’explique également en partie par le nombre de candidats sur la liste, produisant de facto un plus grand désaccord potentiel avec le parti concernant l’ordre des candidats. Les partis francophones peuvent ainsi aligner jusqu’à 72 candidats aux élections régionales, contre seulement 17 pour les partis flamands. Mais, et c’est notamment le cas en ce qui concerne les élections fédérales, une autre explication repose sur les candidats eux-mêmes. Etant donné leur taille à Bruxelles, les partis francophones alignent plus facilement des candidats célèbres ou renommés que les partis flamands.

Graphique 1. Pourcentage de voix de préférence pour les principaux partis à Bruxelles en 2014

Enfin, le nombre de voix de préférence varie fortement selon les partis et, surtout, selon leur idéologie ou structure organisationnelle. Ainsi, les partis socialistes (PS et sp.a) et démocrates-chrétiens (cdH et CD&V) présentent les plus hauts taux de voix de préférence dans leurs groupes linguistiques respectifs. Ils sont suivis par les partis libéraux (MR et Open VLD) et par les régionalistes du FDF. Il est ainsi intéressant de constater que les électeurs du FDF se comportent comme ceux des trois partis traditionnels, surtout pour les élections fédérales. Le score important du nombre de voix de préférence pour l’Open VLD lors des élections régionales s’explique en grande partie par la popularité de sa tête de liste Guy Vanhengel (7.375 voix de préférence).

Les partis qui reçoivent proportionnellement moins de voix de préférence sont les partis écologistes, régionalistes de la N-VA, d’extrême-gauche PTB et d’extrême-droite Vlaams Belang. Ces partis présentent moins de candidats célèbres de les partis traditionnels et le FDF. Il est également intéressant de constater que – à l’inverse du FDF – les électeurs d’Ecolo se comportent plus comme ceux des petits partis ou des partis plus extrêmes, que comme les partis traditionnels. Néanmoins, l’écart entre le comportement de vote de l’électorat Ecolo et celui des partis traditionnels s’est réduit lors de ces élections de 2014 (voir Graphique 2).

Comparaison avec les élections prédécentes

Il est évident que, aux côtés de l’idéologie d’un parti, sa taille et sa structure organisationnelle, les stratégies de campagne de certains partis contribuent potentiellement à une personnalisation des élections et donc à une plus grande proportion de voix de préférence.

Prenons l’exemple du cdH. Le parti démocrate-chrétien a fait le choix d’aligner la vice-première ministre sortante Joëlle Milquet aux élections régionales. Francis Delpérée tirait la liste cdH à Bruxelles pour les fédérales. Le pari s’est avéré gagnant puisque Joëlle Milquet a recueilli pas moins de 19.416 voix de préférence, à hauteur de Vincent De Wolf (MR) et devant les deux principaux candidats socialistes. Mais le Graphique 2 nous montre que cela n’a pas eu d’impact sur le comportement de vote de l’électeur cdH à Bruxelles si on le compare aux précédentes élections régionales. L’électeur démocrate-chrétien a toujours émis plus de voix de préférence que les électeurs des autres partis, indépendamment de la tête de liste (Benoit Cerexhe en 2004 et 2009 et Joëlle Milquet en 2014).

Plus globalement, et si on compare les élections régionales bruxelloises de 2014 aux deux précédentes élections, on remarque que le comportement de vote de l’électeur francophone évolue dans le temps. Il apparaît que celui-ci a de moins en moins recours aux votes de préférence (76,77% en 2004 contre 73,21% en 2009 et 71,74% en 2014). L’hypothèse de la personnalisation accrue des campagnes électorales défendue par certains se trouve ainsi infirmée dans le cas bruxellois.

Le Graphique 2 confirme également les enseignements tirés par l’analyse des élections de 2014, à savoir que les différences entre partis ne sont pas tant stratégiques mais bien idéologiques et liées à la structure interne des partis. Les trois partis traditionnels (cdH en tête) reçoivent proportionnellement plus de voix de préférence que Ecolo et les partis situés aux extrêmes de l’axe gauche-droite. Qui plus est, le départ du FDF semble avoir créé une situation où l’électorat MR semble être plus en accord avec l’ordre des candidats établis par le parti et a exprimé comparativement moins de voix de préférence en 2014. Les prochaines élections régionales de 2019 nous permettront de confirmer ces quelques tendances…

Graphique 2. Pourcentage de voix de préférence pour les principaux partis francophones (élections régionales bruxelloises, 2004-2014)


Note méthodologique

Ne sont repris dans les calculs que les partis ayant obtenu au moins un siège au parlement régional bruxellois ou un siège dans la circonscription de Bruxelles-Capitale pour les élections fédérales. Pour les élections régionales et fédérales de 2014, la liste PTB-go! était conjointe avec celle du PVDA. La liste PTB s’intitulait PTB+PVDA+ en 2004, PTB+ en 2009. Pour les élections fédérales de 2014, les candidats Groen faisaient partie de la liste Ecolo. Le FN ne présentait pas de listes en 2014 et le FDF faisait partie intégrante du MR en 2004 et 2009.

Pour aller plus loin

Dandoy Régis, Museur Clément, “Les programmes électoraux des partis francophones en 2007 et 2010”, in Pierre Baudewyns (éd.), Etre électeur en Wallonie (à paraître, 2015).


lundi 2 juin 2014

Le taux d’abstention à Bruxelles : circulez, il n’y a rien à voir ?


Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à la FLACSO. Chercheur associé à l’ULB et l’UCL

Anissa Amjahad (@aamjahad)
Politologue à l'ULB


Lors de cette campagne pour les élections européennes, fédérales et régionales de mai 2014, on a beaucoup parlé de l’abstention. De nombreux observateurs ont en effet mis en exergue le déficit démocratique des institutions belges, le fossé grandissant entre les citoyens et leurs élus, la particratie, ou encore l’impact négatif des crises institutionnelles de 2007 et 2010-2011. La conséquence de ces phénomènes est bien connu : le vote protestataire. Ce vote protestataire se traduit dans différents phénomènes : progression de l’extrême-droite et des partis populistes, victoire des nouveaux partis et des petits partis, augmentation de l’abstention et des votes blancs, etc… Ce billet se penche sur l’hypothèse de l‘accroissement de l’abstention et du nombre de votes blancs de la part d’électeurs désenchantés de la politique. 

Le taux de participation 

Le taux de participation peut être vu comme un pouls de l’état de la démocratie dans un pays. Bien entendu, dans un pays où le vote est obligatoire et où l’inscription sur le registre électoral est automatique, le taux de participation revêt une autre signification. Bien entendu, une part non-négligeable des électeurs qui s’abstiennent ne le fait pas par pure malice. Certains travaillent le jour du scrutin, sont malades ou en voyage à l’étranger et cet abstentionnisme résiduel s’élève généralement à 5% ou 6% du corps électoral. Néanmoins, le taux de participation permet de mesurer adéquatement la proportion de citoyens qui s’estime non-satisfaite des règles du jeu électoral (système proportionnel, effet de la case de tête, etc.) ou avec l’offre électorale (principalement le nombre et la qualité des partis se présentant aux élections). Plutôt que de voter pour des nouveaux partis ou pour des partis qui proposent un changement des institutions et/ou du système électoral, ces citoyens préfèrent ne pas se déplacer pour aller voter. Qui plus est, le mythe d’éventuelles sanctions financières en cas de non-vote s’effondre peu-à-peu. Depuis 1999, les électeurs qui ne se rendent pas au bureau de vote ne sont en effet plus sanctionnés. 

Traditionnellement, le taux de participation à Bruxelles serait caractérisé par deux éléments spécifiques. Tout d’abord, il serait plus bas que dans les autres régions du pays. Ensuite, il serait en déclin depuis des nombreuses années. Ce billet s’attache à vérifier ces deux hypothèses.

Le taux de participation à Bruxelles s’élève à 83,62% et est en effet plus bas que dans les autres régions. Il s’élève à 92,67% en Flandre, à 87,88% en Wallonie et à 86,38% dans la communauté germanophone. Cette différence peut s’expliquer par deux éléments. De nombreux travaux en science politique ont démontré que l’abstention est plus élevée dans les villes que dans les zones rurales, principalement du fait du plus faible contrôle social chez les premières. Ensuite, un niveau d’éduction bas et un statut économique précarisé sont également liés à un taux de participation plus bas. Etant donné la préoccupante situation socio-économique d’une partie de la population bruxelloise, il est normal d’observer un plus important abstentionnisme social dans cette région. Néanmoins, le taux de participation ne varie pas entre cantons en région bruxelloise. Mis à part l’exception du canton de Bruxelles, les cantons où vit une plus grande population défavorisée ne présentent pas de taux de participation différent de celui des cantons où vit une population plus riche.

Tableau 1. Taux de participation à Bruxelles, par canton (en %)
Anderlecht
83,61
Bruxelles
81,62
Ixelles
84,07
Schaerbeek
84,34
Saint-Gilles
83,99
Molenbeek-St-Jean
83,27
Saint-Josse-ten-Noode
84,54
Uccle
83,9

Le taux de participation lors de ces élections de 2014 s’inscrit dans la lignée des élections régionales bruxelloises précédentes. Il était de 84,33% en 2009 et de 83,58% en 2004. Néanmoins, il vient mettre un coup d’arrêt à la tendance observée depuis les premières élections régionales en 1989. Contrairement à ce que d’aucuns ont affirmé, le taux de participation aux élections régionales à Bruxelles n’est pas en déclin : il a même augmenté graduellement entre 1989 et 2009 (voir Graphique 1). D’un taux relativement bas en 1989 (81,94%), il a atteint progressivement son sommet en 2009 (84,33%). Les élections de 2014 peuvent donc être vues comme une élection de stabilisation du taux de participation, 25 ans après la création de la région.

Graphique 1. Taux de participation à Bruxelles, en % (1989-2014)

Les votes blancs

Un vote protestataire peut également se traduire en un autre type de comportement électoral : le vote blanc. Contrairement à l’absentéisme, l’électeur se déplace bel et bien au bureau de vote mais utilise son droit de vote afin d’exprimer son opposition au système électoral ou envers les partis en place. Comme son nom l’indique, le vote blanc concerne les bulletins de vote sur lesquels l’électeur n’émet aucun vote, ni pour un parti, ni pour l’un ou l’autre candidat. A Bruxelles, le vote blanc est la seule solution dont dispose l’électeur qui souhaite exprimer un tel comportement, le vote nul n’étant pas possible puisque le vote électronique ne permet pas une telle option.

Les premières élections bruxelloises en 1989 ont été non seulement caractérisées par un faible taux de participation mais également par un nombre élevé de votes non-valides (8,27%, voir Graphique 2). Les élections régionales qui ont suivi ont vu ce nombre de votes non-valides diminuer graduellement pour atteindre 3,77% en 2004. Lors des élections de 2009 et, plus récemment, de 2014, le nombre de bulletins blancs s’est stabilisé autour des 5%. 

Au demeurant, les élections du 25 mai 2014 à Bruxelles ne se démarquent pas des précédentes élections par un taux de participation particulièrement bas et un nombre de votes non-valides particulièrement élevé. Au contraire, ces élections sont proches de la moyenne sur la période 1989-2014, faisant de ces élections des élections « normales ».

Graphique 2. Pourcentage de votes non-valides (1989-2014)

Conclusion

Alors que beaucoup prévoyaient une nette augmentation de l’abstention et des votes blancs pour ces élections, notre billet montre que l’augmentation reste très contenue au niveau régional bruxellois. Outre l’impact du caractère obligatoire du vote en Belgique, l’on peut s’interroger sur les déterminants de cette faible évolution. A ce propos, plusieurs hypothèses émergent. D’abord, les taux d’abstention varient généralement selon la saillance du scrutin et les enjeux de campagne.  Le triple scrutin du 25 mai peut avoir jouer un rôle significatif pour diminuer les risques d’abstentions et vote blancs élevés. De plus, ces élections ont été marqués par la présente de nombreux petits partis qui, pour certains d’entre eux, se profilaient comme des alternatives crédibles. Il est dès lors tout à fait possible que le vote à l’extrême gauche ait pu capter des électeurs déçus qui n’auraient pas exprimé de vote sans cette alternative. Si ces formations sont décriées par certains, nous voyons ici qu’elles peuvent finalement avoir un rôle sur la légitimité d’un scrutin. Ces hypothèses seront toutefois examinées dans d’autres billets.


Pour aller plus loin

Amjahad Anissa,« Des abstentionnismes ? Révélations typologiques », dans Anissa Amjahad, Jean-Michel De Waele, Michel Hastings (eds), Le vote obligatoire. Débats, enjeux, défis, Paris Economica, 2011.

Dandoy Régis, Delwit Pascal, Pilet Jean-Benoit, “Le vote obligatoire”, in Frognier André-Paul, De Winter Lieven, Baudewyns Pierre (Eds.), Elections: le reflux ? Comportements et attitudes lors des élections en Belgique, De Boeck, Brussels, 2007, pp. 95-126.