Politologue à la FLACSO. Chercheur associé à l’ULB et l’UCL
Anissa Amjahad (@aamjahad)
Lors de cette campagne pour les élections européennes, fédérales et régionales de mai 2014, on a beaucoup parlé de l’abstention. De nombreux observateurs ont en effet mis en exergue le déficit démocratique des institutions belges, le fossé grandissant entre les citoyens et leurs élus, la particratie, ou encore l’impact négatif des crises institutionnelles de 2007 et 2010-2011. La conséquence de ces phénomènes est bien connu : le vote protestataire. Ce vote protestataire se traduit dans différents phénomènes : progression de l’extrême-droite et des partis populistes, victoire des nouveaux partis et des petits partis, augmentation de l’abstention et des votes blancs, etc… Ce billet se penche sur l’hypothèse de l‘accroissement de l’abstention et du nombre de votes blancs de la part d’électeurs désenchantés de la politique.
Le taux de participation
Le taux de participation peut être vu comme un pouls de l’état de la démocratie dans un pays. Bien entendu, dans un pays où le vote est obligatoire et où l’inscription sur le registre électoral est automatique, le taux de participation revêt une autre signification. Bien entendu, une part non-négligeable des électeurs qui s’abstiennent ne le fait pas par pure malice. Certains travaillent le jour du scrutin, sont malades ou en voyage à l’étranger et cet abstentionnisme résiduel s’élève généralement à 5% ou 6% du corps électoral. Néanmoins, le taux de participation permet de mesurer adéquatement la proportion de citoyens qui s’estime non-satisfaite des règles du jeu électoral (système proportionnel, effet de la case de tête, etc.) ou avec l’offre électorale (principalement le nombre et la qualité des partis se présentant aux élections). Plutôt que de voter pour des nouveaux partis ou pour des partis qui proposent un changement des institutions et/ou du système électoral, ces citoyens préfèrent ne pas se déplacer pour aller voter. Qui plus est, le mythe d’éventuelles sanctions financières en cas de non-vote s’effondre peu-à-peu. Depuis 1999, les électeurs qui ne se rendent pas au bureau de vote ne sont en effet plus sanctionnés.
Traditionnellement, le taux de participation à Bruxelles serait caractérisé par deux éléments spécifiques. Tout d’abord, il serait plus bas que dans les autres régions du pays. Ensuite, il serait en déclin depuis des nombreuses années. Ce billet s’attache à vérifier ces deux hypothèses.
Le taux de participation à Bruxelles s’élève à 83,62% et est en effet plus bas que dans les autres régions. Il s’élève à 92,67% en Flandre, à 87,88% en Wallonie et à 86,38% dans la communauté germanophone. Cette différence peut s’expliquer par deux éléments. De nombreux travaux en science politique ont démontré que l’abstention est plus élevée dans les villes que dans les zones rurales, principalement du fait du plus faible contrôle social chez les premières. Ensuite, un niveau d’éduction bas et un statut économique précarisé sont également liés à un taux de participation plus bas. Etant donné la préoccupante situation socio-économique d’une partie de la population bruxelloise, il est normal d’observer un plus important abstentionnisme social dans cette région. Néanmoins, le taux de participation ne varie pas entre cantons en région bruxelloise. Mis à part l’exception du canton de Bruxelles, les cantons où vit une plus grande population défavorisée ne présentent pas de taux de participation différent de celui des cantons où vit une population plus riche.
Tableau 1. Taux de participation à Bruxelles, par canton (en %)
Anderlecht
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83,61
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Bruxelles
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81,62
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Ixelles
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84,07
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Schaerbeek
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84,34
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Saint-Gilles
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83,99
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Molenbeek-St-Jean
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83,27
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Saint-Josse-ten-Noode
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84,54
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Uccle
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83,9
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Le taux de participation lors de ces élections de 2014 s’inscrit dans la lignée des élections régionales bruxelloises précédentes. Il était de 84,33% en 2009 et de 83,58% en 2004. Néanmoins, il vient mettre un coup d’arrêt à la tendance observée depuis les premières élections régionales en 1989. Contrairement à ce que d’aucuns ont affirmé, le taux de participation aux élections régionales à Bruxelles n’est pas en déclin : il a même augmenté graduellement entre 1989 et 2009 (voir Graphique 1). D’un taux relativement bas en 1989 (81,94%), il a atteint progressivement son sommet en 2009 (84,33%). Les élections de 2014 peuvent donc être vues comme une élection de stabilisation du taux de participation, 25 ans après la création de la région.
Les votes blancs
Un vote protestataire peut également se traduire en un autre type de comportement électoral : le vote blanc. Contrairement à l’absentéisme, l’électeur se déplace bel et bien au bureau de vote mais utilise son droit de vote afin d’exprimer son opposition au système électoral ou envers les partis en place. Comme son nom l’indique, le vote blanc concerne les bulletins de vote sur lesquels l’électeur n’émet aucun vote, ni pour un parti, ni pour l’un ou l’autre candidat. A Bruxelles, le vote blanc est la seule solution dont dispose l’électeur qui souhaite exprimer un tel comportement, le vote nul n’étant pas possible puisque le vote électronique ne permet pas une telle option.
Les premières élections bruxelloises en 1989 ont été non seulement caractérisées par un faible taux de participation mais également par un nombre élevé de votes non-valides (8,27%, voir Graphique 2). Les élections régionales qui ont suivi ont vu ce nombre de votes non-valides diminuer graduellement pour atteindre 3,77% en 2004. Lors des élections de 2009 et, plus récemment, de 2014, le nombre de bulletins blancs s’est stabilisé autour des 5%.
Au demeurant, les élections du 25 mai 2014 à Bruxelles ne se démarquent pas des précédentes élections par un taux de participation particulièrement bas et un nombre de votes non-valides particulièrement élevé. Au contraire, ces élections sont proches de la moyenne sur la période 1989-2014, faisant de ces élections des élections « normales ».
Graphique 2. Pourcentage de votes non-valides (1989-2014)
Conclusion
Alors que beaucoup prévoyaient une nette augmentation de l’abstention et des votes blancs pour ces élections, notre billet montre que l’augmentation reste très contenue au niveau régional bruxellois. Outre l’impact du caractère obligatoire du vote en Belgique, l’on peut s’interroger sur les déterminants de cette faible évolution. A ce propos, plusieurs hypothèses émergent. D’abord, les taux d’abstention varient généralement selon la saillance du scrutin et les enjeux de campagne. Le triple scrutin du 25 mai peut avoir jouer un rôle significatif pour diminuer les risques d’abstentions et vote blancs élevés. De plus, ces élections ont été marqués par la présente de nombreux petits partis qui, pour certains d’entre eux, se profilaient comme des alternatives crédibles. Il est dès lors tout à fait possible que le vote à l’extrême gauche ait pu capter des électeurs déçus qui n’auraient pas exprimé de vote sans cette alternative. Si ces formations sont décriées par certains, nous voyons ici qu’elles peuvent finalement avoir un rôle sur la légitimité d’un scrutin. Ces hypothèses seront toutefois examinées dans d’autres billets.
Pour aller plus loin
Amjahad Anissa,« Des abstentionnismes ? Révélations typologiques », dans Anissa Amjahad, Jean-Michel De Waele, Michel Hastings (eds), Le vote obligatoire. Débats, enjeux, défis, Paris Economica, 2011.
Dandoy Régis, Delwit Pascal, Pilet Jean-Benoit, “Le vote obligatoire”, in Frognier André-Paul, De Winter Lieven, Baudewyns Pierre (Eds.), Elections: le reflux ? Comportements et attitudes lors des élections en Belgique, De Boeck, Brussels, 2007, pp. 95-126.