Politologue à l’UCL
Une des principales
critiques par rapport au vote des Belges résidant à l’étranger concerne le fait
qu’ils sont trop déconnectés de la politique belge pour pouvoir voter en toute
connaissance de cause (voir par exemple la carte blanche de Michel Ghesquière). S’il est
évident qu’un(e) belge domicilié depuis 30 ans dans la forêt amazonienne au
Pérou et sans contacts réguliers avec la Belgique peut potentiellement éprouver
des difficultés à connaître tous les partis et tous les candidats présents sur
les listes électorales, les choses peuvent s’avérer différentes pour le/la Belge
travaillant dans une banque au Luxembourg mais revenant tous les week-ends en
Belgique pour visiter sa famille et ses amis.
Car beaucoup de ces Belges
résidant à l’étranger ne coupent pas les ponts avec le plat pays. Certains reviennent
régulièrement en Belgique pour leurs affaires, les vacances, la Noël ou certains
événements familiaux ; d’aucuns continuent à suivre les informations
politiques via les périodiques ou les journaux télévisés (qui sont depuis
quelques années accessibles en ligne partout dans le monde) ; ou d’autres enfin
restent au contact avec la réalité sociale, culturelle, économique et politique
belge via leurs activités, leurs professions, ou tout simplement leurs contacts
téléphoniques ou électroniques avec leurs familles et amis. Au demeurant, si la
connaissance de la réalité politique belge s’érige en critère d’acquisition du
droit de vote, cet élément pourrait potentiellement s’appliquer à nombre
d’électeurs n’ayant pourtant jamais quitté le territoire belge. Pas sûr que le
législateur belge souhaite emprunter cette voie qui mènerait in fine à distinguer un bon électeur
d’un mauvais électeur…
Dans ce troisième billet
consacré au vote des Belges résidant à l’étranger (après celui sur son impact sur
les partis qui gagnent et perdent des voix, et celui sur son impact sur la répartition des sièges
au parlement bruxellois), nous allons brièvement analyser deux aspects de ce
vote: le recours aux différentes modalités de vote et le vote pour la case de
tête ou pour un ou plusieurs candidats. Les résultats pour les élections
fédérales de 2014 en région bruxelloise seront pris comme cas d’étude, étant
donné l’importance cette région pour le système politique belge et la présence
conjointe de partis flamands et francophones.
Comment votent les Belges à l’étranger ?
Le 25 mai 2014, pas
moins de 22.709 Belges résidant à l’étranger ont émis un vote pour les
élections fédérales dans la circonscription de Bruxelles. Seuls 64,79% de ces Belges
ont effectivement voté, ce qui est sensiblement plus bas que taux de
participation observé en région bruxelloise (voir l’analyse du taux de participation à
Bruxelles en 2014). Ce chiffre peut difficilement être révélateur d’une
éventuelle déconnection avec la réalité politique belge, étant donné que nombre
de ces électeurs ont été confrontés à diverses difficultés techniques qui ont
entravé leur vote. Par exemple, certains Belges souhaitant voter par
correspondance ont reçu leur bulletin de vote quelques jours – voire quelques
semaines – après la date des élections.
La liste officielle des
électeurs belges résidant à l’étranger fut arrêtée le 1er mars 2014. Pas moins
de cinq modes de vote furent mis à la disposition de ces électeurs: le vote en
personne dans une commune belge ; le vote par procuration dans une commune
belge ; le vote en personne dans un poste diplomatique ou consulaire ;
le vote par procuration dans un poste diplomatique ou consulaire ; et le vote
par correspondance. Dans leur grande majorité (70,08%), les Belges résidant à
l’étranger ont fait le choix de voter par correspondance.
Néanmoins, 1,18% d’entre
eux étaient sur le territoire belge le jour de l’élection. Il n’est donc pas
possible d’accuser ces électeurs d’être trop déconnectés de la réalité du
‘terrain’ belge, même s’il est difficile de savoir s’ils sont revenus en
Belgique spécifiquement pour les élections ou si ils étaient présents sur le
territoire pour une toute autre raison (familiale, professionnelle, etc.).
Enfin, en ce qui concerne le vote par procuration, que cela soit dans une
commune belge (5,17%) et dans un poste diplomatique ou consulaire (1,40%), il
est également difficile d’accuser ces électeurs d’être trop déconnectés de la
réalité politique belge, étant donné que ce ne sont tout simplement pas eux qui
ont voté…
Votes en case de tête ou votes de
préférence ?
Outre le mode de vote
choisi par le Belge résidant à l’étranger, son comportement de vote peut-il
nous apprendre quelque chose au sujet de sa connaissance de la réalité
politique belge ? Lors des scrutins, l’électeur peut voter de deux
manières différentes : soit en case de tête, soit pour un(e) ou plusieurs
candidats. Cette dernière forme de vote est également appelée voix ou vote ‘de
préférence’ puisqu’il permet à l’électeur d’identifier directement les
candidat(e)s qu’il souhaite voir siéger au parlement (voir l'analyse de ces
votes à Bruxelles). Mais la science politique nous a appris que ces votes de
préférences s’observent plus souvent dans le cas d’électeurs proches de l’un ou
l’autre candidat. A l’inverse, l’électeur qui ne connaît pas personnellement
les candidats ou qui ne s’intéresse à la politique que de manière sporadique ou
superficielle aura tendance à exprimer un vote en case de tête.
Si l’hypothèse des
Belges résidant à l’étranger déconnectés de la réalité politique belge se
vérifie, nous devrions observer une plus faible proportion de votes de
préférence chez ce groupe d’électeurs par rapport aux électeurs belges résidant
à Bruxelles. Le Tableau 1 confirme clairement cette hypothèse: près de 2/3 des
Belges à Bruxelles expriment un vote de préférence lors des élections fédérales,
tandis qu’ils sont moins d’un tiers chez les Belges résidant à l’étranger. A
l’inverse, près de 70% de ces Belges de l’étranger a émis un vote en case de
tête.
Tableau
1. Pourcentage de votes de préférence et en case de tête à Bruxelles (élections
fédérales de 2014, par canton électoral)
Cantons
|
Votes de préférence
|
Votes case de tête
|
Anderlecht
|
68,17%
|
31 83%
|
Bruxelles
|
67,79%
|
32,21%
|
Ixelles
|
62,83%
|
37,17%
|
Molenbeek
|
68,64%
|
31,36%
|
St
Gilles
|
62,61%
|
37,39%
|
St
Josse
|
68,63%
|
31,37%
|
Schaerbeek
|
69,30%
|
30,70%
|
Uccle
|
65,96%
|
34,04%
|
Etranger
|
30,86%
|
69,14%
|
Note :
les résultats sont présentés par cantons électoraux puisque les informations
sur ce comportement de votes n’est pas disponible au niveau communal.
S’il est difficile d’établir un lien entre la méconnaissance de la réalité politique belge et le choix d’un vote en case de tête, il paraît évident que l’éloignement physique (parfois sur un autre continent) et temporel (parfois pendant des décennies) tend à réduire la propension à connaître, communiquer et voter pour des candidats individuellement. La déconnection des Belges résidant à l’étranger par rapport à la vie politique belge est plus que probablement une réalité pour certains de ces Belges. L’éventuelle extension du droit de vote des Belges résidant à l’étranger pour les élections des parlements de région (voir l’avant-projet de loi approuvé au Conseil des ministres) devra à n’en pas douter se pencher sur cette question.
Pour
citer ce billet : Dandoy Régis, « Vote des Belges à l’étranger: sont-ils
(trop) déconnectés de la réalité politique belge ? », Blog - Elections,
made in Brussels, 2 september 2016.
URL: http://electionsbxl.blogspot.be/2016/09/vote-des-belges-letranger-sont-ils-trop.html