mercredi 12 mars 2014

Les voix de préférence pour les candidates à Bruxelles (2004-2009)


Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à la FLACSO. Chercheur associé à l’ULB et l’UCL



La législation belge est assez claire en matière de genre sur les listes électorales : l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un. En d’autres termes, cela signifie que la proportion d’hommes et de femmes sur une liste doit être de 50/50 (à l’exception évidente des listes composées d’un nombre impair de candidats). Qui plus est, cette règle s’applique de la même manire aux candidats titulaires et suppléants et aux listes incomplètes. La législation précise également que les deux premiers candidats de chaque liste doivent être de sexe différent. Bref, tous les candidats – qu’ils soient hommes ou femmes – se présentent de manière égale devant l’électeur. 

La réalité électorale bruxelloise traduit assez bien l’objectif de cette législation. En effet, les résultats des élections indiquent que, si effectivement plus d’hommes que de femmes sont élus, les différences ne sont pas énormes. En 2004, pas moins de 46,1% des élus étaient des femmes (41 sur 89 députés régionaux bruxellois), tandis que cette proportion diminue légèrement pour atteindre 43,8% en 2009 (39 sur 89). Le parlement bruxellois fait cependant figure d’exception dans le paysage politique belge puisque les femmes y sont plus souvent élues que dans les autres parlements. A titre de comparaison, les femmes représentaient en 2009 41,1% des élus au parlement flamand, 34,7% des élus au parlement wallon et 31,8% des élus belges au parlement européen (Sliwa, 2010). 

Mais ces résultats électoraux cachent une autre réalité : celle des voix de préférence. En effet, le système de vote en case de tête permet à un nombre important de candidats d’être élus sans que soit prise en considération leur performance électorale individuelle. En d’autres mots, de nombreux députés régionaux bruxellois ont été élus simplement parce qu’ils se trouvaient dans les premières places sur la liste électorale. Les femmes qui ont été élues au parlement bruxellois le doivent principalement à leur place sur la liste et non à leur score personnel en termes de voix de préférence. En 2009, sur les 39 femmes élues, seules 8 n’étaient pas en ordre utile sur la liste. A titre de comparaison, pas moins de 13 hommes ont été élus alors qu’ils n’étaient également pas situés en ordre utile. L’explication est assez simple : les femmes obtiennent en moyenne moins de voix de préférence que les hommes. 


Voix de préférence pour partis flamands et francophones 

L’analyse du top 10 des candidats francophones les plus populaires démontre clairement cette domination masculine en matière de voix de préférence. Ainsi, en 2004, la première femme au hit-parade des voix de préférence se classait en 6ème position des candidats francophones. Joëlle Milquet (cdH) obtenait 8.600 voix, suivie par Frédérique Ries (MR, 7ème position avec 7.810 voix), Françoise Dupuis (PS, 9ème position avec 7.136 voix) et Françoise Schepmans (MR, 10ème position avec 7.064 voix). En 2009, 4 femmes se classent également dans le top 10 des voix de préférence. Joëlle Milquet (cdH) parvient à grimper sur le podium puisque ses 23.487 voix lui permettent de se classer 3ème au hit-parade. Elle est suivie par Evelyne Huytebroeck (Ecolo, 5ème position avec 13.724 voix), Fadila Laanan (PS, 9ème position avec 8.535 voix) et Françoise Bertieaux (MR, 10ème position avec 8.392 voix). 

Nous avons par ailleurs calculé le nombre moyen de voix de préférence obtenues individuellement par chaque candidat lors des élections régionales bruxelloises de 2004 et 2009. Le tableau ci-dessous indique clairement les différences observées selon le genre. En 2004, les candidats francophones ont obtenu en moyenne 1228 voix de préférence. En comparaison, leurs colistières francophones ont en moyenne obtenu à peine plus de 800 voix. En termes relatifs, les hommes ont ainsi reçu moitié plus de voix de préférence que les candidates du même groupe linguistique (+53%). Du côté flamand, cet écart est même plus important : les hommes obtiennent pratiquement 2/3 de voix de préférence en plus que les femmes pour ces mêmes élections. Lors des élections régionales de 2009, cette différence entre hommes et femmes diminue mais reste toutefois considérable. Les hommes obtiennent en moyenne 32% et 47% de voix de préférence en plus que les femmes, respectivement pour les partis francophones et les partis flamands. 

Tableau 1. Voix de préférence, en moyenne par genre



Femmes
Hommes
Différence
Pourcents
2004 - Partis francophones
803,94
1227,69
+ 423,75
+ 52,71%
2004 - Partis flamands
465,6
771,3
+ 305,7
+ 65,66%





2009 - Partis francophones
821,96
1087,76
+ 265,8
+ 32,34%
2009 - Partis flamands
274,24
402
+ 127,76
+ 46,59%
Note : seuls les candidats titulaires sont repris dans les calculs


Voix de préférence pour petits et grands partis 

Mais les élections concernent aussi bien des grands partis – qui voient certains de leurs candidats se faire élire – que des petits partis. Il est ainsi important de distinguer les partis traditionnels (MR, PS, cdH et Ecolo) et les petits partis dans nos analyses. Par définition, les petits partis obtiennent en moyenne moins de voix de préférence et le nombre de candidats présentés par ces petits partis évolue fortement d’une élection à l’autre. A l’inverse, le nombre de candidats titulaires présentés par les quatre partis traditionnels reste stable dans le temps : 72 candidats titulaires par parti, ce qui représente un total de 288 candidats en 2004 et en 2009. 

Le tableau ci-dessous analyse ces différences entre types de partis du côté francophone et confirme nos premières observations. En 2004, les hommes obtiennent moitié plus de voix de préférence que les femmes, mais ce phénomène s’observe principalement pour partis traditionnels (MR, PS, cdH et Ecolo). Chez les petits partis, cette différence de performance électorale entre les hommes et les femmes est plus réduite mais atteint néanmoins plus de 27%. En 2009, l’écart entre candidats et candidates diminue mais dépasse toujours le tiers des voix de préférence au sein des listes présentées par les partis traditionnels. Lors de ces mêmes élections, les hommes font un quart de voix de préférence en plus que les femmes dans les petits partis. 

Tableau 2. Voix de préférence, en moyenne par genre (partis francophones)



Femmes
Hommes
Différence
Pourcents
2004 – Partis traditionnels
1642,47
2550,38
+ 907,91
+ 55,28%
2004 – Petits partis
144,12
198,14
+ 54,02
+ 37,48%





2009 – Partis traditionnels
2037,79
2740,09
+ 702,3
+ 34,46%
2009 – Petits partis
89,41
112,61
+ 23,2
+ 25,95%
Note : seuls les candidats titulaires sont repris dans les calculs


Conclusion

La conclusion de ces analyses est simple : l’électorat bruxellois préfère voter pour des candidats masculins lorsqu’il émet une ou plusieurs voix de préférence. Ces considérations sont confirmées dans le temps (élections régionales de 2004 et 2009) et pour différents types de partis (flamands, francophones, traditionnels et petits partis). Toutefois, une tendance s’observe et indique que – même s’il reste considérable – l’écart entre hommes et femmes diminue dans le temps. Les élections régionales de mai 2014 vont nous permettre de vérifier cette tendance. 

Ces écarts en termes de voix de préférence permettent d’expliquer certaines stratégies de partis lors de la confection des listes. Tout d’abord, et ainsi de maximiser les voix de préférence pour leurs candidats sur la liste, les partis ont tendance à présenter un candidat masculin en plus lorsque que la liste est impaire. Ensuite, les partis ont un intérêt évident à placer des hommes en tête de liste, ainsi qu’aux places de combat (c’est-à-dire en dehors de places où agirait l’effet dévolutif de la case de tête). Ces différents éléments seront analysés dans un prochain billet suite à la publication des listes électorales dans les prochaines semaines. 

Au demeurant, le vote étant secret, il est difficile de pouvoir mesurer avec précision la part d’électeurs masculins ne votant que pour un ou plusieurs candidats et la part de femmes ne votant que pour une ou plusieurs candidates. Néanmoins, les chiffres présentés ici suggèrent que ce nombre de voix de préférence supérieur pour les hommes s’observerait à la fois chez l’électeur et chez l’électrice. Mais seule une enquête d’opinion sur un échantillon important de l’électorat bruxellois nous permettra de tirer des conclusions précises quant au comportement de vote différencié – ou similaire – des hommes et des femmes. 


Pour aller plus loin 

Sandra Sliwa, La représentation politique des femmes à l’issue des élections du 7 juin 2009. Un bilan objectif des quotas, Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, 2010. Lien