Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à la FLACSO. Chercheur associé à l’ULB et l’UCL
Grégory Piet (@grgpiet)
Politologue à Université de Liège
Ce 25 mai 2014, quelques 584.310 citoyens belges domiciliés dans la région bruxelloise ont élu leurs 89 députés régionaux. Tous ces députés ont été élus sur base d’un programme électoral. Le programme électoral, c’est ce long document de plusieurs centaines de pages que peu d’électeurs lisent (pour une analyse de la longueur des programmes électoraux, voici ici) mais qui remplit une fonction importante : celui d’annoncer au préalable les priorités de cet(te) élu(e). Le programme discute ainsi les avancées réalisées par les élus du parti lors de la précédente législature mais liste également les promesses électorales de leur parti pour la législature à venir. Si un parti met en avant tel ou tel enjeu de politique publique, on peut s’attendre à ce que les députés provenant de ce parti en fassent leur priorité une fois qu’ils siègent au parlement.
Dans une précédente série de billets, nous avons étudié les priorités des partis politiques pour les élections à Bruxelles en analysant le contenu de leurs programmes électoraux pour cette région. Ces priorités sont identifiées grâce à une méthode d’analyse de texte basée sur des mots-clés (voir Note méthodologique). Dans la lignée de ces analyses, nous allons nous pencher sur les futures priorités du parlement bruxellois en extrapolant sur base de ces programmes électoraux. Les priorités de chaque parti sont pondérées en fonction de son poids en termes de sièges au sein de cette assemblée. Pour rappel, les élections du 25 mai 2014 ont donné les résultats suivants : PS 21 sièges, MR 18, FDF 12, cdH 9, Ecolo 8, Open VLD 5, PTB-PVDA-Go! 4, Groen 3, sp.a 3, N-VA 3, CD&V 2, Vlaams Belang 1. La N-VA ayant fait le choix de ne pas rédiger de programme électoral bruxellois en 2014, ce parti ne sera donc pas intégré à nos analyses.
Le Tableau 1 présente ces priorités pour la prochaine législature, dans l’hypothèse où les partis politiques mettent en avant les enjeux qu’ils ont discutés dans leurs programmes électoraux bruxellois. Globalement, il n’y a pas de thématique qui se dégage par rapport aux autres, mis à part les questions institutionnelles et administratives (18,05%) et qui traitent des défis et réformes de la structure administrative, institutionnelle et communautaire de Bruxelles. Ces questions sont significativement plus présentes au sein du groupe linguistique néerlandais (30,74%) en comparaison des partis présents dans groupe linguistique français (15,58%). Il est probable que l’importance du débat sur les questions communautaires en Flandre rejaillisse sur le contenu des programmes des partis flamands. Prises dans leur ensemble, les catégories socio-économiques représentent plus du tiers des priorités du futur parlement bruxellois (36,56%). A l’inverse des questions institutionnelles et administratives, les enjeux socio-économiques à Bruxelles sont plus mis en avant au sein du groupe linguistique français (38,37%) par rapport au groupe linguistique néerlandais (27,25%). Il est donc probable que les futurs débats sur le socio-économique au parlement bruxellois soient initiés par les députés francophones plutôt que par leurs collègues flamands.
Sur la première marche du podium des priorités du parlement bruxellois pour 2014-2019, nous retrouvons l’enseignement (8,95%), suivi par l’économie et la politique fiscale (8,68%) et les affaires sociales (8,38%). Ces trois catégories d’enjeux sont plus présentes dans le groupe linguistique français que dans le groupe linguistique néerlandais. Les partis membres de ce groupe linguistique néerlandais mettent ainsi de leur côté l’accent en premier lieu sur le développement local et la politique du logement. A l’échelle du parlement pris dans son ensemble, le développement local et la politique du logement viennent en quatrième position. Ensuite, nous retrouvons des enjeux importants pour l’avenir de Bruxelles, à savoir l’emploi (7%) et la mobilité (6,69%). Aux septième et huitième positions, nous retrouvons les affaires étrangères et européennes (mettant principalement l’accent sur le statut international de Bruxelles) et le commerce et les entreprises. Les autres catégories d’enjeux de politiques publiques représentent une moindre priorité pour le futur parlement bruxellois, à savoir principalement les arts et la culture (4,68%), la justice et la criminalité (3,19%), la santé (3,11%) et l’environnement (2,16%). Enfin, l’immigration, l’agriculture et le commerce extérieur devraient être les grands absents des futurs débats du parlement bruxellois.
Tableau 1. Priorités du parlement bruxellois pour 2014-2019 (en %)
Groupe linguistique
français
|
Groupe linguistique
néerlandais
|
Parlement
bruxellois
|
|
Economie et politique
fiscale
|
9,27%
|
5,64%
|
8,68%
|
Droits et libertés
|
3,99%
|
2,18%
|
3,70%
|
Santé
|
3,27%
|
2,31%
|
3,11%
|
Agriculture et pêche
|
0,55%
|
0,05%
|
0,46%
|
Emploi
|
7,25%
|
5,73%
|
7,00%
|
Enseignement
|
9,33%
|
7,00%
|
8,95%
|
Environnement
|
2,19%
|
1,99%
|
2,16%
|
Politique énergétique
|
1,45%
|
1,42%
|
1,44%
|
Immigration
|
0,72%
|
0,81%
|
0,73%
|
Mobilité
|
6,59%
|
7,17%
|
6,69%
|
Justice et criminalité
|
3,46%
|
1,78%
|
3,19%
|
Affaires sociales
|
8,46%
|
7,97%
|
8,38%
|
Développement local et politique
du logement
|
7,35%
|
9,78%
|
7,74%
|
Entreprises, commerces et
secteur bancaire
|
6,41%
|
3,70%
|
5,97%
|
Défense
|
0,10%
|
0,23%
|
0,12%
|
Recherche scientifique et
TIC
|
1,58%
|
0,41%
|
1,39%
|
Commerce extérieur
|
0,76%
|
0,34%
|
0,69%
|
Affaires étrangères et
européennes
|
6,98%
|
4,21%
|
6,53%
|
Questions
institutionnelles et administratives
|
15,58%
|
30,74%
|
18,05%
|
Aménagement du territoire
|
0,28%
|
0,62%
|
0,34%
|
Arts et culture
|
4,44%
|
5,92%
|
4,68%
|
Total
|
100,00%
|
100,00%
|
100,00%
|
A l’aide de la même méthodologie (estimation des priorités du parlement bruxellois sur base des programmes électoraux des partis qui y siègent), nous pouvons comparer les priorités du parlement bruxellois pour la législature 2014-2019 avec celles de la précédente législature (2009-2014). Le Vlaams Belang ayant fait le choix de ne pas rédiger de programme électoral bruxellois en 2009, ce parti ne sera donc pas intégré à nos analyses. Conséquence probable de la réforme de l’état de 2012-2014, les questions institutionnelles et administratives voient leur importance diminuer drastiquement par rapport à la précédente législature (-8,81%, voir Tableau 2). A l’inverse, les enjeux de nature socio-économique voient leur importance s’accroître en 2014 (+12,16%).
Parmi les enjeux de la campagne qui perdent également de l’importance pour la législature 2014-2019, nous retrouvons également l’environnement (-1,92%) – conséquence directe de la défaite électorale d’Ecolo – et le développement local et la politique du logement (-1,31%), bien que cet enjeu soit crucial pour l’avenir de Bruxelles, ainsi que les arts et la culture (-1,16%). Les catégories de politiques publiques qui voient leur importance s’accroître sont l’enseignement (+3,39%), les affaires étrangères et européennes (+2,98%), l’emploi (+2,43%), les affaires sociales (+1,79%), l’économie et la politique fiscale (+1,46%), et la justice et la criminalité (+1,4%).
Tableau 2. Priorités du parlement bruxellois en 2009-2014 et 2014-2019 (en %)
2009-2014
|
2014-2019
|
Différence
|
|
Economie et politique
fiscale
|
7,22%
|
8,68%
|
+1,46%
|
Droits et libertés
|
3,12%
|
3,70%
|
+0,58%
|
Santé
|
3,28%
|
3,11%
|
-0,17%
|
Agriculture et pêche
|
0,50%
|
0,46%
|
-0,04%
|
Emploi
|
4,57%
|
7,00%
|
+2,43%
|
Enseignement
|
5,56%
|
8,95%
|
+3,39%
|
Environnement
|
4,08%
|
2,16%
|
-1,92%
|
Politique énergétique
|
1,95%
|
1,44%
|
-0,51%
|
Immigration
|
0,89%
|
0,73%
|
-0,16%
|
Mobilité
|
7,50%
|
6,69%
|
-0,81%
|
Justice et criminalité
|
1,79%
|
3,19%
|
+1,40%
|
Affaires sociales
|
6,59%
|
8,38%
|
+1,79%
|
Développement local et
politique du logement
|
9,05%
|
7,74%
|
-1,31%
|
Entreprises, commerces et
secteur bancaire
|
5,27%
|
5,97%
|
+0,70%
|
Défense
|
0,08%
|
0,12%
|
+0,04%
|
Recherche scientifique et
TIC
|
1,02%
|
1,39%
|
+0,37%
|
Commerce extérieur
|
0,75%
|
0,69%
|
-0,06%
|
Affaires étrangères et
européennes
|
3,55%
|
6,53%
|
+2,98%
|
Questions
institutionnelles et administratives
|
26,86%
|
18,05%
|
-8,81%
|
Aménagement du territoire
|
0,52%
|
0,34%
|
-0,18%
|
Arts et culture
|
5,84%
|
4,68%
|
-1,16%
|
Total
|
100,00%
|
100,00%
|
Note méthodologique
Cette analyse des programmes électoraux repose sur un logiciel d’analyse de textes, de discours et d’arguments, nommé Prospéro (Chateauraynaud, 2003 ; voir, par exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de Prospéro http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi que le site dédié au logiciel Prospéro http://prosperologie.org/). La méthode consiste en la création de 21 répertoires thématiques reprenant l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein des programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et Jones (http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook). Ces 21 répertoires sont constitués de 16.582 mots et expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la politique étrangère, etc. Cet encodage automatique permet ainsi de mesurer les préférences et les priorités des partis politiques au sein de leur programme électoral. Pour une analyse en profondeur d’un enjeu politique et une explication détaillée de la manière de constituer les répertoires de mots et d’expressions, voir Piet (2013).